[Critique] Ego Trip : One Man Chaud

Et l’on se prend alors à imaginer ce qu’aurait pu donner ce brulot social, si, porté par la plume d’un François Avard visiblement animé d’un plaisir jubilatoire, le comique débridé de Huard avait été mis au service de l’histoire, et non le contraire.

Image de Patrick Huard arrivant à l'hôtel Ké Kontan dans Ego Trip de Benoit Pelletier (2015, Films Séville)

Patrick Huard dans Ego Trip de Benoit Pelletier (2015, Films Séville)

Comme bien souvent avec ce genre de cinéma, c’est sous l’angle sociologique qu’il faudrait décortiquer Ego Trip. Digne héritier des comédies de fesse des années 70, redécouvertes longtemps après avoir été jetées au purgatoire, le film de Benoit Pelletier prendra sans doute beaucoup plus de valeur lorsque l’on analysera comment le cinéma de l’époque voyait la société qui l’entoure. En ce sens, la vulgarité d’Ego Trip a probablement plus de signification historique que bien des drames sociologiques dits sérieux.

Cependant, sans se faire l’avocat du diable et sans attendre l’analyse rétrospective, les critiques que nous sommes, chargés de comprendre la teneur cinématographique, ne peuvent que se désoler du produit livré. La réalisation est certes fonctionnelle, les éléments techniques aussi, mais le mal est ailleurs. Produit essentiellement pour aiguiser le « sens de l’humour » [1] des amateurs de Patrick Rogatien Huard, le film repose sur un scénario paresseux qui a – et ce n’est pas son moindre défaut – le culot de se prendre au sérieux et de croire en l’importance de sa cause.

Empruntant sans trop y croire un rebondissement tiré d’une autre comédie récente [2] et reprenant même mot pour mot une phrase entendue dans la publicité d’une compagnie d’assurance jouée par Huard [3], Ego Trip est passe le plus clair de son temps à brosser le téléspectateur d’un « réseau » populaire [4] dans le bon sens du poil.

Sous la houlette de François Avard, le québécois est clairement égocentrique, inculte et moron. Gentil mais moron. Le trait est grossier, bien sûr. La satire montre une société québécoise opulente sans bon sens, fermée sur elle-même et incapable de relativiser ses petits malheurs. Elle a des médias à l’image de ce qu’elle est : avides de sensations et obnubilés par la rentabilité. C’est d’ailleurs la raillerie de ce milieu, que le scénariste connaît bien, qui constitue la portion la plus appréciable du film.

Reste à savoir si le public, ce fameux « grand public » à qui l’on prétend donner du plaisir, acceptera sans broncher de recevoir en pleine tronche cette image de lui-même, sans obtenir de contrepartie tangible. Car, malgré son sujet et l’empathie qu’il était censé procurer, Ego Trip éprouve toutes les peines du monde à rendre ses personnages attachants et ne parvient jamais à créer un quelconque sentiment d’identification. Trop occupé à mettre en scène sa comédie aux ressorts déjà vus à maintes reprises, Pelletier ne s’approche même pas de ce qui aurait pu être un film touchant, sans pour autant laisser de côté l’aspect incongru de la présence médiatique de vedettes, parachutées au milieu de la fange pour sensibiliser et engranger les dons. Il y avait matière à rire jaune autant qu’à émouvoir, on est passé à côté de ce potentiel. Même dans la scène de reconnexion familiale, beaucoup trop forcée pour qu’on y adhère. Cette finale ratée remet à elle seule tout le sujet en question. Fallait-il un voyage en Haïti pour se rendre compte que la famille est ce qu’on a de plus précieux ?

On regrettera donc que ce one man show vitriolé n’ai pu (ou n’ai voulu) contrôler un peu plus le jeu de l’humoriste vedette. Huard est laissé à lui-même au milieu de seconds rôles anodins, voire inutiles, en dehors de Guy Jodoin et d’Antoine Bertrand qui ressortent nettement du lot, en animant avec conviction leur caricature.

Et l’on se prend alors à imaginer ce qu’aurait pu donner ce brulot social, si, porté par la plume d’un François Avard visiblement animé d’un plaisir jubilatoire, le comique débridé de Huard avait été mis au service de l’histoire, et non le contraire. Ego Trip, la pire comédie québécoise depuis Les Dangereux ?

[1] : on aura reconnu l’allusion à la comédie du même nom réalisée par Émile Gaudreault.
[2] : le kidnapping des héros dans Les maîtres du suspense.
[3] « Quand tu veux t’embarques dans la conversation », publicité télé Intact Assurance, elle-même conçue sous la forme d’une capsule style Taxi 0-22.
[4] : le mot « réseau », comme dans « Réseau TVA », utilisé par Antoine Bertrand ; recréation d’une émission matinale dudit réseau.

Ego Trip – Québec, 2015, 1h45 – un animateur de télé sur le déclin part à Haïti redorer son image pour le compte d’une ONG québécoise. Il est accueilli par un photographe passionné, un chanteur raté et une attachée de presse hystérique – Avec: Patrick Huard, Guy Jodoin, Gardy Fury, Marie-Ève Milot, Antoine Bertrand – Scénario: François Avard Réalisation: Benoit Pelletier – Production: Nicole Robert, Émile Gaudreault – Distribution: Les Films Séville

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