[Critique] Ceci n’est pas un polar : banlieue blues

Malgré une seconde partie beaucoup trop didactique, Ceci n’est pas un polar propose une histoire d’amour moderne dense et glauque qui mérite le détour. Construite sur la grisaille et l’espoir, cette première réalisation de Patrick Gazé possède suffisamment de qualités pour que l’on espère une suite.

Image de la comédiennes Christine Beaulieu dans le film Ceci n'est pas un polar (Patrick Gazé, 2014 - dist. K-Films)

Christine Beaulieu dans le film Ceci n’est pas un polar (Patrick Gazé, 2014 – dist. K-Films)

Un taxi. L’endroit idéal pour faire des rencontres. André, origines polonaises, chauffeur. Marianne, brunette obscure, en pleurs. Leur rencontre est fortuite, leur première baise est hésitante. Le renfermement de l’un entre en collision avec le mutisme de l’autre. Dans Ceci n’est pas un polar, ce qui frappe dès les premières scènes c’est l’habileté déployée par Patrick Gazé pour dépeindre ces deux solitudes urbaines sans tomber dans l’excès de pathos et en gardant ses distances avec des personnages qui, au départ, ne nous sont pas plus sympathiques qu’il ne faut.

D’André nous aurons le loisir de découvrir que derrière cette gueule d’amour se cache un être seul marqué par une séparation douloureuse et des relations plus que tordues avec son fils qu’il ne voit guère plus. Il est maladroit, peu à l’aise avec les technologies (il ne sait pas qu’un cellulaire ça peut aussi prendre des photos!), presque brutal dans ses relations. Et ce ne sont pas sa sœur mourante ou sa chatte attentive mais jalouse qui le rendent plus attachant pour autant.

De Marianne nous ne saurons rien. Une chevelure brune qui cache une blessure intérieure, un présent aussi obscur que le passé. Nous aurons bien droit à quelques confidences sur l’oreiller, mais la relation qui se développe entre eux en reste au stade de l’interrogation sans réponse.

Gazé l’a compris, le mystère est le moteur de son histoire. Un mystère encore plus prenant qu’il est plongé dans un réel tout ce qu’il y a de plus blafard. L’automne et les rues mornes de St-Michel, un quartier montréalais pourtant très évocateur de la solitude urbaine, mais peu utilisé par le cinéma québécois, font le travail. Comme c’était déjà le cas dans Snow & Ashes, The Girl In The White Coat ou Exil, la direction photo sans fard de Jean-François Lord supporte de fort belle manière l’importance de cet univers glauque. Les intérieurs ordinaires particulièrement crédibles renforcent la sensation d’isolement et de simplicité des personnages, en particulier l’appartement d’André, aux meubles de mélamine et au prélart vintage. Au milieu de cet ambiance morose, Gazé essaye de mettre un peu d’humanité dans les personnages secondaires (la soeur, le collègue Auguste) pour dédramatiser et donner matière à respirer un peu.

Ceci n’est pas un polar est vieux d’une heure et nous a livré jusque là une prenante histoire d’un amour à sens unique, enveloppé d’une épaisse couche de mystère. Puis progressivement, le film delaisse l’évolution de son couple, comme s’il était arrivé dans un cul-de-sac. Gazé fait faire la bascule à son scénario et nous transporte par la même occasion dans un univers un peu plus pragmatique, qui, bien que proche du cheminement initiatique, n’évite pas les tournures presque rocambolesques. Car André veut savoir. Le présent, le passé, tout ce qui a rendu Marianne aussi sombre. Et si l’histoire d’amour continue à avancer, c’est bel et bien la recherche de la vérité – et incidemment la recherche de soi – qui mène le bal.

Les flics entrent dans la danse, les indices se révèlent et les conclusions se dévoilent. Même s’il se fait moins crédible et malheureusement beaucoup trop explicatif, le film ne perd pas pour autant tout son intérêt. Mais il faut bien reconnaitre que l’on aurait aimé le voir évoluer moins artificiellement ce couple improbable, adroitement filmé par la caméra à l’épaule d’un ami de connivence ou d’un intrus indésirable. Car ce changement de registre n’est pas sans défauts, loin de là. Plusieurs détails dénotent. Les informations confidentielles révélées par un flic qui risque de perdre sa job, on n’y croit guère ; les flashbacks sont inutiles de même que les aveux laissés sur un dictaphone à cassettes. Tout cela parait trop simple, trop limpide pour un film qui avait mis tant d’efforts à laisser planer l’ombre et le doute. « Ben voilà, tu sais toute » dira Marianne à André. On n’en demandait pas tant.

Restera alors à finir l’histoire de cette rencontre sur une note positive pour mettre définitivement la hache dans l’ambiguïté et donner à ce qui s’était avéré jusque là un thriller psychologique de grande qualité une tournure beaucoup plus ordinaire. Dommage. Malgré tout, Ceci n’est pas un polar mérite le détour, ne serait-ce que pour savourer cet idylle moderne, faite de grisaille et d’espoir.  Avec ce premier essai, Patrick Gazé signe un film surprenant qui possède suffisamment de qualités pour que l’on espère une suite..

Ceci n’est pas un polar – thriller psychologique – Québec, 2014, 1h59 – un chauffeur de taxi montréalais s’éprend d’une jeune femme ténébreuse qui cache un lourd secret. Il mènera enquête pour découvrir la personnalité de cette femme mystérieuse – Avec: Roy Dupuis, Christine Beaulieu, Roc Lafortune – Scénario et réalisation: Patrick Gazé – Production: Michèle Grondin, Louisa Déry – Distribution: K-Films Amérique

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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