Critique du film Inch’Allah

Portant son film au-delà du drame de guerre, Anaïs Barbeau-Lavalette nous propose un portrait torturé d’une jeune étrangère qui ne comprend pas vraiment où ni ce qu’elle fait dans une région difficilement décodable pour qui ne vient pas de là.

Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette (Évelyne Brochu, Sabrina Ouazani)

Inch’Allah d’Anaïs Barbeau-Lavalette (Évelyne Brochu, Sabrina Ouazani)

Avec Inch’Allah, deux choses sont sûres: Barbeau-Lavalette confirme son talent de direction de jeunes acteurs et Évelyne Brochu est émouvante dans un rôle en manque de crédibilité.

Chloé l’obstétricienne sera à jamais personnifiée par une intense Evelyne Brochu incarnant ici une personne fragile qui ne parvient pas à rester sereine dans un environnement où tous ses repères sont chamboulés. Se heurtant au calme de son médecin-chef, qui a su et pu rester placide après des années que l’on imagine fort longues dans un environnement aussi troublé, Chloé se retrouve seule devant ses choix. Chloé la nord-américaine aborde le plus naïvement du monde sa mission et ses relations avec les habitants des deux côtés de la frontière. Elle devra toutefois choisir son camp. Ce faisant, elle apprendra à ses dépens toute la difficulté d’avoir des relations normales dans un environnement ou les forces en présence sont en état de confrontation permanente et où il est impossible de tisser des liens avec qui que ce soit.

La première partie du film trace le portrait torturé de cette jeune canadienne, prise dans un engrenage et qu’elle ne contrôle pas. Après moult tourments et un événement tragique, l’obligation de choisir deviendra une évidence pour la jeune femme, qui aura finalement été rattrapée par cette guerre étrangère. Le sentiment de culpabilité et la volonté de se racheter, l’incohérence de la situation, tout fait en sorte que Chloé ressent le devoir de s’impliquer. Mais elle le fait sans avoir toutes les cartes pour décider lucidement.

Au-delà du portrait de cette femme déchirée, l’histoire de Chloé nous rappelle abruptement toute la difficulté de résolution par l’extérieur d’un conflit Israélo-palestinien qui n’en finit pas de finir et qui trouve dans n’importe quel prétexte les occasions pour s’envenimer de plus belle. Chloé, plongée jusqu’au cou dans ce fatras indémêlable, apprend vite que les amitiés sont ténues, au moins autant que les espoirs de paix. Sans être fortement engagé politiquement, le film semble toutefois beaucoup plus pessimiste que ce qu’il tente de nous montrer dans un improbable trou percé à même l’inébranlable mur de béton qui sépare les deux peuples.

Certes, on ne devrait pas oublier que ce mur immense et symbolique (comment ne pas y voir un rappel au mur de Berlin ou même au mur des lamentations de Jérusalem Est) n’est rien d’autre qu’un décor de cinéma, construit avec de l’argent occidental pour simuler une guerre qui lui est tout à fait étrangère. On devra passer outre un titillant manque de crédibilité du personnage de Chloé, qui se transforme comme par magie de jeune femme fragile et perturbée en terroriste. On pourra aussi regretter un démarrage très lent, dû à l’analyse poussée des tourments intérieurs du personnage, provoquant longueurs et silences qui finissent par peser. Toutefois, après cette première moitié mollassonne, la tension monte, la réalisation se fait plus nerveuse et le film gagne en intensité.

Inch’allah exerce tout de même un certain talent dans la manipulation. Il puise sa force de conviction dans une adroite construction de son intrigue, jusqu’à la finale surprenante, donnant un sens nouveau au film. Il est également très bien servi par une distribution homogène, parfaitement dirigée, un talent que Barbeau-Lavalette nous avait déjà démontré avec Le ring son premier film de fiction.

Dans le rôle principal, Évelyne Brochu obtient ici son meilleur rôle en carrière (et une belle chance aux Jutra), adéquatement supportée par les comédiennes Sabrina Ouazani et Sivan Levy. Les rôles de soutien sont également très convaincants, à commencer par les enfants, choisis parmi les résidents locaux.

Inch’Allah – Québec, 2012, 1h41 – Une jeune obstétricienne québécoise se retrouve confrontée aux horreurs de la guerre dans les territoires occupés. Elle se lie d’amitié avec Rand, une patiente palestinienne et Ava, jeune militaire israélienne – Avec: Evelyne Brochu, Sabrina Ouazani, Sivan Levy, Yousef Sweid – Réalisation et Scénario: Anaïs Barbeau-Lavalette – Production: Luc Déry et Kim McCraw (micro_scope) – Distribution: Films Séville

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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