[Critique] Que ta joie demeure : réalité augmentée

Après avoir observé les animaux dans leur cage dans Bestiaire, Côté retrouve son regard amusé dans Que ta joie demeure, une mise en situation iconoclaste et allégorique du milieu de travail. Et on aime ça !

Le message initial, jeté par Émilie Sigouin au-dessus de son épaule, est invitant « ici tu vas vivre de beaux moments ». Le film qui s’adresse au spectateur ?  La jeune femme en bleu de travail est confiante « faut qu’on se bâtisse une confiance entre toi puis moi ». Le patron qui s’adresse à l’employé ? Ou l’employé qui s’adresse à son outil ?

Photo extraite du film Que ta joie demeure, réalisé par Denis Côté (©Metafilms)

Que ta joie demeure, réalisé par Denis Côté (©Metafilms)

Les machines martèlent à répétition tout en criant de leurs mécaniques graisseuses, sans que personne n’y change rien. En quelques minutes, Denis Côté nous transporte dans l’univers presque familier de la manufacture. Posant sa caméra dans des endroits apparemment dénués d’intérêt, il nous laisse face à face avec les machines, les espaces vieillots et les objets hétéroclites ayant tous une fonction bien précise.

Puis, peu à peu, des mouvements désordonnés et des gestes répétitifs font leur apparition. Derrière les engins de métal, les travailleurs affairés à placer, tronçonner, poncer, trier. Plans fixes, sonorités travaillées. Avec Denis Cöté comme guide, nous voici en plein cœur de l’instant présent, scrutant la réalité d’une vie de travailleur dans un milieu industriel pas très glamour.

Après avoir observé Jean-Paul Colmor, ferrailleur, dans Carcasses, après avoir filmé et sonorisé des animaux en cage dans Bestiaire, après avoir crié à l’ours dans Vic + Flo, Côté nous livre donc ce Que ta joie demeure, une autre entreprise de déstabilisation réussie. Les similitudes avec Bestiaire sont évidentes, tant sur le plan esthétique (le son) que sur celui du regard porté par l’auteur sur ses congénères. Bien que la démarche ne soit plus vraiment nouvelle (on se demande d’ailleurs quelle sera la prochaine étape dans un tel processus), Côté parvient à lui redonner du mordant. En sachant transformer le regard documentaire en un ersatz de fable allégorique sur le monde du travail et sur l’exploitation de l’homme par l’homme. Mais au-delà du discours social ou d’un propos revendicateur, Côté, en laissant le champ libre à la dérision, ne tente-t-il pas tout simplement de nous sortir de quotidienneté parfois pesante ?

À l’instar du reste de la filmographie de Côté, le film s’avère porté par une grande force évocatrice. L’instant présent est transgressé sous l’Å“il de Denis Côté, et notre univers ordinaire devient prétexte à autant d’images décalées et absurdes. Nos vies qui semblent pourtant bien réglées s’enfuient alors vers des ailleurs autrement plus inspirants. Dans une cinématographie de plus en plus portée à dépeindre les aspects les plus sombres de notre société, ce n’est donc pas une mince qualité de Que ta joie demeure que celle de poser un regard sur ce que nous sommes en s’écartant de la sorte des sentiers battus.

Que ta joie demeure РExp̩rimental РQu̩bec, 2014, 1h10 РObservation irr̩elle du milieu de travail et de nos vies ali̩n̩es РAvec: Guillaume Tremblay ; Emilie Sigouin ; Hamidou Savadogo РSc̩nario et r̩alisation: Denis C̫t̩ РProduction: Sylvain Corbeil, Nancy Grant РDistribution: EyeSteelFilm

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