Entrevue avec Maryanne Zéhil à propos de La vallée des larmes

Ce vendredi, Maryanne Zéhil présente au public québécois son second film, La vallée des larmes, une histoire intime qui évoque les drames vécus par des milliers de civils dans les camps de Sabra et Chatila, au Liban.

Ces horreurs, vieilles de trente ans, la cinéaste d’origine libanaise les a bien connues. Entrevue avec une cinéaste marquée par l’histoire.

La vallée des larmes de Maryanne zéhil (Nathalie Coupal de dos interroge la mère de Joseph)

La vallée des larmes de Maryanne zéhil (Nathalie Coupal de dos interroge la mère de Joseph – ©Mia Productions)

FQ : Votre film a été présenté au public pour la première fois au Festival International de Shanghai en juin dernier. Quelle a été la réaction du public ?

J’avais vu d’autres films durant le festival et j’avais été très surprise de voir que les gens parlaient au téléphone, se parlaient, riaient, mangeaient etc. Donc je m’attendais au pire. Qu’elle ne fut donc ma surprise de constater que pendant la projection de La Vallée des larmes, il régnait dans la salle un silence religieux. Ce fut tout un cadeau. Il est vrai qu’à un moment dramatique de l’histoire, des petits «hihihi» ont fusé dans la salle et je ne comprenais pas du tout ce que c’était. Mais par la suite, je me suis renseignée auprès d’amis qui sont au fait de la culture chinoise qui m’ont expliqué que c’était un rire gêné. Une fois ce constat fait, je me suis réconciliée avec le public chinois qui n’a accès qu’à 36 films étrangers par an (il y a un quota): il est donc très ouvert et curieux. Pendant le festival, les séances sont bondées et j’ai reçu, personnellement, beaucoup de témoignages touchants. En plus, la ville de Shanghai est tout simplement passionnante!

FQ : Sur un plan personnel, quel était pour vous le besoin de faire ce film, trente ans après le drame ?

La guerre du Liban a elle seule définit toutes les formes de guerre : Il y a eu des guerres contre des pays: Israël et la Syrie, contre des Palestiniens qui se sont installés au Liban après les deux exodes de 48 et de 67, et il y a eu une guerre civile entre chrétiens, musulmans et druzes libanais où chaque communauté s’était alliée aux pays cités avant. Ailleurs sur la planète, certains pays en guerre ont eu droit, aux lendemains des hostilités, à des procès collectifs ou à des réconciliations collectives, souvent décriés mais, peu importe, il y avait, sinon une justice, du moins l’effort de rendre justice aux victimes. Au Liban, il n’y a rien eu de tout cela. Un beau jour «on» a décrété que la guerre était terminée! Et chacun devait faire ce qu’il pouvait avec ce qu’il avait. D’où, à mon humble avis, les tensions qui persistent aujourd’hui. Alors moi, vivant ici, loin de la haine, des guerres fratricides et des tensions quotidiennes, je peux me permettre le luxe de servir un autre discours que celui qu’on entend ad vitam nauseam. Je me sens donc investie par le devoir de témoigner, mais avec le recul nécessaire qui permet de tendre la main à l’autre, en tentant une réconciliation individuelle, à défaut de collective. Je tiens quand même à préciser que je ne suis pas porte-parole des chrétiens du Liban et que je suis libre de toute allégeance ou appartenance religieuse, politique et ethnique.

FQ : Vous viviez au Liban à l’époque de Sabra et Chatila et l’on imagine que vous avez dû vivre ce drame de façon très personnelle. Est-ce que ce drame a eu une incidence sur votre carrière de cinéaste ?

Je ne peux pas dire que les évènements de Sabra et Chatila m’ont bouleversée particulièrement puisqu’aucun de mes proches n’a été touché directement par ce drame. Que ce soit les massacres des camps ou la mort de deux petites filles dans une voiture piégée, à 12 ans, ce qui nous marque de façon indélébile, c’est la mort bien plus que le nombre des morts ou la nationalité des tueurs. Grandir avec l’idée de la mort rend le présent plus urgent et donc plus intense. C’est comme ça que je me rappelle mon enfance et mon adolescence. On ne connaissait rien d’autre et inconsciemment on pensait que tous les enfants du monde vivaient les mêmes choses que nous. C’est bien plus tard que l’Autre pose un regard compatissant sur nous en nous accolant l’étiquette de «pauvres enfants de la guerre». Cette conscience-là, on ne l’acquiert que philosophiquement et intellectuellement, bien plus tard. Au moment même, on vit. Comme tout le monde. Oui, la guerre a eu une incidence certaine sur ma carrière de cinéaste: car face à la peur viscérale de perdre mes proches, je me suis construit une imagination tellement fertile que je rêvais seule dans ma bulle pendant des heures pour fuir cette douloureuse éventualité. Pourquoi le traduire en images au cinéma? Probablement parce que, enfant, mon imaginaire a été marqué de manière visuelle par le biais de la télé, qui ne nous épargnait rien. Ceci bien entendu avant que je ne découvre, bien plus tard et toute émerveillée, que les images pouvaient aussi être un outil pour exprimer ses émotions et le cinéma un moyen magnifique de partager ces émotions.

FQ : À ce propos, pourquoi avoir adopté une approche fictionnelle pour évoquer ce drame au lieu de le traiter par le biais du documentaire ?

Le projet a pris jour en 2001 lorsqu’un ami, au nom de plusieurs victimes des camps de Sabra et Chatila, a été l’instigateur d’une action juridique contre Ariel Sharon en Belgique. Je m’apprêtais à suivre sa démarche avec un documentaire. Cependant, en décembre 2005, Ariel Sharon, suite à une attaque cérébrale, tombe dans un coma profond – dans lequel il est toujours d’ailleurs – et le procès, comme vous le savez, tombe à l’eau. Du coup, je décide de me réapproprier cet événement en le recréant de manière fictive et en m’octroyant toute la liberté dont j’avais besoin pour parler des choses qui me touchent et m’interpellent.

FQ : Quel message souhaitez-vous livrer au public québécois ?

Je n’ai absolument aucun message à livrer à personne. Je raconte un vécu qui a bouleversé ma génération au Moyen-Orient et j’espère que la société dans laquelle je vis aujourd’hui y sera sensible et aura un outil de plus pour décoder cette région. La Vallée des larmes est un film de fiction qui est raconté à travers ma sensibilité et ma vision très personnelle quant à une solution.

FQ : Est-ce qu’un circuit des festivals est prévu pour La vallée des larmes, des sorties en salles à l’étranger ?

La Vallée des larmes sortira au Liban et en Turquie un peu plus tard cette année. Les dates seront annoncées ultérieurement. Également, des festivals et d’autres ventes seront annoncés très prochainement.

La vallée des larmes – Québec, 2012 – Une éditrice alcoolique reçoit le témoignage d’un survivant de Sabra et Chatila, avec qui elle noue une relation. Après la mort de ce dernier, elle se rend au Liban pour en savoir plus sur l’origine de cet homme – Avec: Nathalie Coupal, Joseph Antaki, Sophie Cadieux – Scénario et Réalisation et Production: Maryanne Zéhil – Distribution: Films Séville

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