Il y a fort à parier que peu resteront indifférents devant cet enchevêtrement d’époques, mû par des jeux de montage soignés et des ellipses travaillées. Si l’ensemble relève d’un haut standard de qualité, l’impression finale est remise en cause par un scénario qui manque de lyrisme mais aussi et surtout par les liens paranormaux qui unissent les deux histoires principales, largement sous-exploités. Si Café de flore ne déçoit pas, il ne comble toutefois qu’une partie des attentes.
Diverses histoires d’amour s’invitent au programme de ce drame complexe et audacieux, magistralement filmé et décoré qui joue l’opposition systématique des couleurs pour dépeindre les lieux (Paris gris et morose ; Montréal illuminé). Ces deux récits distincts relatent l’amour inconditionnel, vus sous des angles radicalement différents, mais qui finiront par se rejoindre. À Paris en 1969, Jacqueline vit seule avec Laurent son fils trisomique des moments magiques. Elle s’emploie à lui donner une vie dite normale, contre vents et marée et en dépit des qu’en-dira-t-on. Un amour trop fort, filmé et joué de belle façon sans être toutefois très novateur ni totalement renversant. Il y a aussi l’amour (ou l’attachement) ressenti par Laurent pour une petite amie qui lui ressemble et enfin, l’histoire d’amour actuelle d’Antoine envers sa nouvelle blonde Rose, amour vécu de façon dramatique par Carole, son ex et mère de ses deux filles, qui ne se remet pas d’avoir perdu le seul homme de sa vie.
Pour unir ces époques et ses amours, Vallée a suivi la voie tracée par C.R.A.Z.Y. de mettre la trame sonore au centre du récit. Bien lui en a pris car ici, la musique omniprésente (à la limite de la surdose) constitue un personnage à elle seule et fait parfaitement corps avec l’image. Jean-Marc Vallée a souvent dit que sa vie était remplie de musique et qu’il se laissait souvent guider par elle pour écrire ses sujets. On en a là une illustration flagrante. La trame sonore est donc au début le seul lien tangible qui unit ces différentes périodes et qui permet de souder les histoires ensembles. En point d’orgue la pièce Café de flore de Matthew Herbert, en version sixties et en version contemporaine. Pour Antoine le DJ comme pour Laurent, la musique fait partie de leur vie et procure une source d’apaisement essentielle. Ce lien est donc au début du moins un lien fictif, qui s’il est plutôt ténu, est suffisamment bien créé pour paraître convaincant.
La suite du film renforce les attaches entre les époques et les histoires, en passant par le personnage de Carole adulte (Hélène Florent, parfaite), insomniaque, et qui doit consulter une médium pour chasser ses visions et se libérer de l’emprise d’Antoine, qu’elle n’a jamais réussi à exorciser. Démons que l’on retrouve dans le passé, à Paris, et qui ne se dévoilent que très (trop ?) tardivement dans le film. La construction lente du récit permet donc par touches successives de finalement relier les deux sujets d’apparence totalement dissociés.
Si Café de flore réussi à séduire, le scénario laisse toutefois un léger goût d’inachevé. En particulier en ce qui concerne le lien paranormal qui unit Carole et Jacqueline, qui s’avère très ténu, qui arrive trop tard et qui se précipite sans être parfaitement développé. Mais Café de flore pèche aussi par certains côtés plus terre-à-terre, comme ces flashbacks qui finissent par lasser (les amours de jeunesse de Carole et d’Antoine) ; ces dialogues très explicatifs (les séances chez le psy) ; la finale énorme et plutôt mal amenée… voilà quelques exemples. Signalons aussi le happy end heureux et qui met tout le monde d’accord mais qui ne convainc qu’à moitié (le revirement d’opinion du père ressemble plus à un raccourci qu’à une véritable évolution du personnage).
En résumé
Dans une année cinématographique québécoise assez terne, Café de flore se démarque suffisamment pour qu’on le revoit aux palmarès des Jutra et des Génie 2012. Malgré cela, ce n’est qu’un pari à moitié gagné pour Jean-Marc Vallée qui nous livre un quatrième long métrage chargé d’émotivité et d’invention. Si la technique et l’interprétation sont irréprochables, on ne peut pas en dire autant du scénario qui souffre de plusieurs faiblesses. Au final, Café de flore est un film ni totalement réussi, ni totalement raté, mais qui procure tout de même une expérience au dessus de la moyenne.
Café de Flore – Québec, 2011, 2h09 – Parallèle entre deux histoires d’amour séparées de plusieurs décennies. La première se situe à Paris en 1969 et la seconde à Montréal de nos jours. – Avec: Vanessa Paradis, Kevin Parent, Hélène Florent, Évelyne Brochu – Scénario et Réalisation: Jean-Marc Vallée – Production: Pierre Even, Marie-Claude Poulin – Distribution: Alliance Vivafilm
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