En plus d’être un beau film, Bergers de Sophie Deraspe est une œuvre charmante qui s’inscrit bien dans un air du temps cinématographique de plus en plus porté par les récits d’émancipation inspirants, les histoires de lâcher-prise salvateur et les chroniques bienveillantes montrant les effets bénéfiques, presque miraculeux, d’un retour à la terre radical, opéré sur un coup de tête par de jeunes et moins jeunes citadins.
Donc, en fuyant Montréal, Mathyas a pris la route d’une transformation intérieure. Son chemin de Compostelle, ou son chemin de croix, l’amènera à devenir berger. Surveiller les bêtes, en prendre soin, les accompagner dans leur transhumance est aux yeux de beaucoup un métier bucolique suranné. Pour autant, la réalisatrice et son coscénariste Mathyas Lefébure n’ont aucunement l’intention de laisser croire que le renouveau du Québécois en goguette se matérialisera sans efforts.
Car, on le sait, Sophie Deraspe a un œil de documentariste affûté. Elle s’attarde donc dans la première partie à casser l’image d’Épinal que l’on accole encore souvent à cette profession vieille comme le monde et souvent décrite comme l’essence même de la liberté. Ce qui est évidemment totalement faux. Car, non, le pastoralisme n’est pas idyllique, non les brebis ne sont pas ces gentilles petites peluches à bouclettes soyeuses. Il y a des passages assez durs au cours desquels les mots crus et les coups de colères ramènent à la dure réalité le protagoniste, écoeuré de voir son rêve ainsi malmené.
Deraspe parvient à ses fins en mettant à l’œuvre une description assez juste des principales difficultés qui attendent son héros. De la complexité technique et physique du métier à la relation difficile avec les bêtes (et les collègues!), en passant par les maladies, les contraintes administratives et la solitude sexuelle de ceux qui partent dans les montagnes avec leur troupeau, tout est abordé avec rigueur et précision. Les décors intérieurs, les costumes, la direction artistique en général sont criants de vérité.
Ceux et celles qui ont eu la chance de vivre sur une ferme saisiront sans doute assez facilement le regard de la cinéaste, qui, en quelques sortes, s’amuse à malmener un mythe encore tenace tout en rendant un bel hommage à ces éleveurs humbles, résilients, fiers de leurs traditions, qui se battent sept jours sur sept, 365 jours par an, pour perpétrer leur bel ouvrage, de plus en plus menacé par les changements climatiques ou les diktats des fonctionnaires de l’Union Européenne.
C’est tout à l’avantage de Bergers que de démarrer par les aspects les plus tangibles du parcours initiatique de son protagoniste. Pour ma part, c’est d’ailleurs cette mise en situation vériste qui m’a paru la plus intéressante et la plus captivante. La suite est certes plus apaisée, mais aussi beaucoup plus simpliste. D’autant que la quête de sens de Mathyas n’est que très peu prise en compte, laissant le spectateur orphelin de toute indication quant à son besoin impérieux de se confronter à autant d’écueils et autant de douleur.
Dès que la jeune fonctionnaire part retrouver son bel échalas canadien, et à défaut d’aller fouiller la psychologie et les motivations de ses amoureux, le récit se recentre sur une gentille bluette de roman de gare. La rupture de ton se fait en douceur cependant, parvenant à faire oublier ses développements plus prévisibles, moins crédibles et un romantisme un peu mièvre. Gorgée de moments grandioses, la trame musicale de Philippe Brault est parfois insistante, mais la direction photo de Vincent Gonneville (Jour de chasse) est absolument superbe.
Passages à Cinemania: 6, 9 et 17 novembre 2024
Bergers – Québec-France, 2024, 1h53 – Un aspirant écrivain québécois quitte Montréal et son métier de publicitaire pour devenir berger dans le sud de la France – Avec: Félix-Antoine Duval, Solène Rigot, Guilaine Londez – Scénario Sophie Deraspe, Mathyas Lefébure – Réalisation: Sophie Deraspe – Production: micro_scope (QC), Avenue B Productions (FRA) – Distribution: Maison 4:3
Ma note: