N’y allons pas par quatre chemins : Chasse au Godard d’Abbittibbi d’Éric Morin est une grande réussite. Pas juste parce que l’hiver y est si magnifiquement filmé, pas juste parce qu’il est parfaitement interprété, pas juste parce qu’il possède une trame sonore à l’allégresse contagieuse et pas juste parce qu’il parvient à évoquer habilement un passage méconnu de la carrière de Jean-Luc Godard. Mais parce que le film d’Éric Morin – un premier long métrage rappelons-le – est tout cela à la fois. Mais aussi, parce qu’il ne se laisse pas emporter par l’hommage d’un jeune cinéaste à l’un des maîtres du cinéma mondial, et ce, même s’il puise dans son répertoire plusieurs références et même si Sophie Desmarais nous remémore la candeur de Jean Seberg ou la moue espiègle d’Anna Karina.
Le film prend sa source dans la période révolutionnaire du cinéaste franco-suisse, qui avait à la fin des années soixante entamé un parcours exploratoire l’amenant, soit seul soit avec le Groupe Dziga Vertov, aux États-Unis puis au Québec, en Italie, en Tchécoslovaquie ou encore en Allemagne. Autant de contrées inconnues pour le « cinéaste de réputation internationale », alors en pleine quête de nouvelles formes de cinéma, entre autres, un cinéma révolutionnaire fait par et pour le peuple. Malgré sa brièveté (quelques jours à peine), le voyage au Québec de Godard inspira le désir de changement à la jeunesse abitibienne.
C’est de cette rencontre inachevée que Morin profite pour bâtir son histoire. À l’instar du projet de son « modèle », Morin donne la parole aux gens « ordinaires » et de ce fait, parvient à rendre son histoire parfaitement universelle. Entre les étudiants de 1968 et ceux du printemps érable (des carrés rouges sont bien visibles à l’écran), entre Paris, Montréal et Rouyn et entre le cinéma direct québécois et la Nouvelle vague française. La force de Chasse au Godard d’Abbittibbi est d’avoir réussi à tisser sa toile autour de ses références casse-gueule et d’avoir su dépeindre une réalité sociale qui transcende le temps et l’espace.
Lové dans une trame sonore déjantée aux rythmes épatants, utilisant de nombreuses publicités d’époques, le film nous plonge avec lui au creux des années soixante dans une région malade, dont la jeunesse, attirée par les lumières de la grande ville (Paul incarné par Martin Dubreuil), cherche à s’éloigner (Marie, Sophie Desmarais) ou choisit de rester et se battre (Michel joué par Alexandre Castonguay).
Grâce à sa maîtrise d’un scénario pourtant peu facile et par son interprétation éclatante, le film parvient à rendre son sujet intemporel et universel. Fruit d’une démarche créative originale et inusitée, Chasse au Godard d’Abbittibbi est une œuvre singulière, qui n’est pas sans défauts certes (on regrette une légère perte de rythme dans la partie centrale du film, traitée de manière plus conventionnelle), mais qui dénote d’une volonté de s’éloigner des chemins balisés empruntés par le cinéma québécois actuel. Un premier long métrage très réussi et complètement inattendu qui en appelle forcément un suivant.
Chasse au Godard d’Abbittibbi – comédie dramatique – Québec, 2013, 1h39 – En 1968, à Rouyn-Noranda, Jean-Luc Godard débarque sans prévenir dans le but de réaliser des expériences télévisuelles d’un nouveau genre. Sa venue attise le côté révolutionnaire de Michel, un jeune Abitibien, et alimente le besoin d’évasion de sa copine Marie. – Avec: Sophie Desmarais, Alexandre Castonguay et Martin Dubreuil – Scénario et Réalisation: Éric Morin – Production: Parce Que Films – Distribution: Funfilm
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