Au delà de l’emballement médiatique de la Croisette et peut-être même bien plus que son format d’image inusité – le 1:1 était-il enferme-t-il vraiment les personnages ? –, ce qui restera de Mommy, et pour longtemps encore, c’est ce qu’il dit de nous. Car si le style reste très « dolanien » et que le film soit loin d’être parfait, la vision de la société québécoise qu’il nous propose parvient à transcender la valeur intrinsèque du film. Plus que jamais, Dolan affirme sa québécitude en dressant non seulement le portrait d’une famille déconstruite par l’absence du père de famille et la maladie du fils, mais aussi de tout un pan de ce qui fait le Québec aujourd’hui.
Au premier abord, Mommy semble plus élaboré dans son rapport avec ce que nous sommes, avec la société québécoise dans son ensemble. Malgré le positionnement de l’intrigue dans un Canada fictionnel introduit dans les cartons introductifs, le film s’établit bel et bien au creux d’une société québécoise bien réelle. Le film est violent, autant que la société est morose. Inhumanité de la banlieue, relations de couples altérées, multiples problèmes de l’adolescence, ou encore l’absence marquante du père, sont autant de thèmes qui inscrivent l’intrigue dans un réalisme social que Dolan n’avait jamais approfondi autant. Et qui le rapprochent de facto du cinéma d’auteur québécois plus « traditionnel ». Il n’en reprend toutefois pas les codes habituels en conservant son style unique et en redonnant vie à la matière brute de ses débuts.
Il pousse cependant plus loin la relation mère-fils qui s’était établie dans J’ai tué ma mère. Deux films qui partagent une filiation naturelle, mais dont les discours sont radicalement différents. Alors qu’il centrait son premier film sur l’ado rebelle, Dolan inverse ici l’angle de vue et se place dans les souliers de la mère. Une occasion idéale pour Anne Dorval de livrer une performance inoubliable (une fois de plus) dans le rôle de Diane, aimante et forte en apparence, mais totalement débordée par Steve, un fardeau blond aux yeux bleus de 15 ans (hallucinant Antoine-Olivier Pilon). Dans le rôle de l’aidante naturelle, plus calme et plus secrète, Suzanne Clément revient donner vie a cette personne opposée, mais tellement complémentaire.
Face à eux, les personnages secondaires sont dépeints – volontairement à n’en pas douter – sous les traits de personnages fades, sans aucun intérêt. Dolan reste donc centré sur ce trio exquis, sensible et complémentaire. , magnifiée par la caméra d’André Turpin, dans un automne québécois aux couleurs éclatantes. Une sensibilité que l’on retrouve dans ce qui est à nos yeux la scène la plus marquante ; celle de l’un des moments de bonheur vécu par le trio, dansant tout leur soul sur « On ne change pas » interprétée par Céline Dion. Un titre qui évoque à la fois l’espoir de Diane pour enfin voir arriver les jours meilleurs, mais appelle tout autant le constat de l’irrémédiable état de santé de son fils, perdu à jamais. À l’instar d’un film qui évolue sur les sentiments opposés de personnages au bord de l’abîme, cette scène ravive la métaphore sur l’ambigüité de nos vies, sans cesse bercés entre violence et amour, entre désespoir et optimisme.
Par rapport à ses quatre premières œuvres, Dolan a muri et a simplifié son style. Mais, même plus sage dans sa mise en scène, ce cinquième film possède encore quelques traces de l’exubérance passée. Les ralentis, l’excès émotionnel de certaines scènes qui forcent la main du spectateur, l’ouverture du cadre lors des passages oniriques (le premier paraît bien inutile), les sacrages et les hurlements à répétition sont encore bien présents. Les sceptiques seront-ils confondus ? Rien n’est moins sûr car Dolan n’est pas un cinéaste tranquille et le film nous le rappelle constamment.
Mais malgré ce trait encore un peu forcé, Xavier Dolan aura réussi une nouvelle fois un coup fumant avec cette œuvre unique, qui parvient à marquer l’imaginaire. S’appuyant sur une maîtrise technique irréprochable et un trio de comédiens parfaitement dirigés, cette histoire d’amour trop gourmand et de haine destructrice laisse des marques. On dit souvent (parfois à tort et à travers) qu’un film est à ce point marquant qu’on en ressort bouleversé. Mommy est indéniablement un de ces films là.
Mommy – drame – Québec, 2014 – 2h19 – Diance, veuve vivant en banlieue, est forcée de reprendre la charge de son fils Steve qui est atteint des troubles du TDAH. Après avoir perdu son travaile et devant la lourdeur du fardeau, elle se fait aider par une voisine, enseignante bègue en congé sabatique – Avec: Anne Dorval, Suzanne Clément, Antoine-Olivier Pilon, Patrick Huard – Scénario et réalisation: Xavier Dolan – Distribution: Films Séville
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