[Critique] Testament : pas pour plaire

La satire aurait pu être plus nuancée, mais elle témoigne de l’audace d’un pilier de notre cinéma, qui a gagné ses galons sans chercher à plaire.

En une vingtaine de documentaires et de fictions, étalés sur six décennies, Denys Arcand a souvent divisé l’auditoire. Qualifié de hautain par les uns, de lucide par les autres, le regard que porte le réalisateur de L’âge des ténèbres sur la société québécoise ne s’est, de fait, pas toujours embarrassé de bonnes manières et de retenue. Il aurait donc été étonnant que ce Testament au titre sans doute cinématographiquement prémonitoire soit radicalement différent.

Marie Mai et Rémy Girard dans Testament de Denys Arcand / ©2022 Cinemaginaire; photo par Jan Thijs
Marie Mai et Rémy Girard dans Testament de Denys Arcand / ©2022 Cinemaginaire; photo par Jan Thijs

Prenant appui sur des faits divers récents, Arcand dézingue tour à tour plusieurs traits de la rectitude politique, des citoyens concernés, aux jeunes « wokes », en passant par les sous-effectifs en santé ou le manque de culture du ministère de la Culture. Évidemment, rien n’est laissé au hasard, rien n’est fait pour flatter. Surtout pas ceux qui ne retrouvent ni dans l’humour potache du Déclin de l’empire américain, ni dans l’érudition du Confort et l’indifférence ni dans la raillerie de Jésus de Montréal. Des pôles d’attraction parsemés ici et là, donnant lieu à une comédie mi-amusée, mi-désabusée, cohérente avec toute la démarche de l’auteur.

Mais la satire est un style délicat à mettre en œuvre. Et en effet, les gags de Testament sont loin d’être subtils : une cérémonie littéraire un peu trop réac, les bouffonneries insupportables d’une résidente traumatisée par la mort de son mari (Guylaine Tremblay en roue libre), et un personnage inutile (incarné par Danielle Fichaud) qui martèle un clou déjà bien enfoncé.

Que reste-t-il une fois ces dérapages évacués? Il reste quand même beaucoup de choses réussies. Notamment, une évocation pertinente de la disparition de la culture québécoise portée avec éloquence par Robert Lepage, qui sait mieux que quiconque de quoi il parle ; une pique assez juste sur le sensationnalisme des télés d’information en continu ; et une moquerie efficace tirant à boulets rouges sur l’incurie du gouvernement du Québec, qui fait semblant d’être en contrôle alors que c’est tout l’inverse.

Mais surtout, on retrouve ici une sensibilité évidente dans la façon d’illustrer la fragilité d’aînés québécois, cloîtrés dans une RPA vieillotte. Des couloirs vides, des promenades en solo ou des câlins payés cash à une professionnelle en affection, sont quelques-uns des moments sobres et délicats traitant d’un sujet douloureux, que la pandémie de COVID-19 a tristement fait ressurgir.

Alors, oui, Testament aurait sans doute gagné si le coup de griffe avait été plus nuancé. N’empêche, il témoigne de l’audace de ton d’un auteur qui restera dans l’histoire comme l’un des piliers de notre cinéma, titulaire d’une carrière internationale plus qu’enviable, notre seul oscarisé…, tout cela, justement parce qu’il n’a jamais cherché à plaire.

Testament – Québec, 2023, 1h55 – Un septuagénaire assiste au siège de sa RPA par un groupe de jeunes activistes venus réclamer la suppression d’une murale offensante pour les Premières Nations. – Avec: Rémy Girard, Sophie Lorain, Marie Mai – Scénario et réalisation: Denys Arcand – Production: Denise Robert – Distribution: TVA Films

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