[Critique] Laurentie: et vlan dans les dents!

Laurentie choque pour mieux éveiller, en alertant sur des sujets tels que la place de plus en plus importante des anglophones, le vide idéologique de la jeunesse et la merditude de la société

Laurentie (Emmanuel Schwartz - ©Funfilm)

Laurentie (Emmanuel Schwartz – ©Funfilm)

L’urgence de parler du lieu et de l’époque dans laquelle évoluent les deux auteurs de Laurentie aura donc accouché d’un film sulfureux, où les tourments identitaires d’un jeune trentenaire sont l’occasion d’aborder de front des thèmes sensibles et par la même occasion de recevoir un méchant uppercut en pleine gueule.

Laurentie est centré sur le personnage de Louis Després, un technicien audiovisuel dans la trentaine, sombre et asocial, qui passe le plus clair de son temps à dupliquer d’anonymes émissions de télé, tout en jetant un Å“il distrait sur des vidéos pornos, en grand amateur de branlette qu’il est. Apathique et replié sur lui-même, Louis a peur de l’autre. L’autre, ce sont ses collègues, avec qui il n’entretient aucune relation, sa blonde (Eugénie Beaudry), qu’il épie la nuit, mais avec qui il est rigoureusement incapable d’avoir une relation stable («conventionnelle»). Seuls deux amis (Guillaume Cyr et Martin Boily) semblent être en mesure de rester dans son entourage proche.

Voilà le bref portrait de Louis, portrait qui s’accorde parfaitement avec la société dans laquelle il vit. Cet homme de notre temps, complexe et simple à la fois, est lui aussi fait de marasme et de défaitisme, tout en étant très volontaire lorsqu’il s’agit de sortir son Québec de la torpeur. À la fois par sa soif de beauté (l’écoute en silence du Sibélius : un plan-séquence mémorable de plus 10 minutes), mais aussi, et le film prend une tournure plus radicale, par l’éradication de l’anglophone (ici personnifié par quelques jeunes idiots ou indifférents et par son voisin de palier qui semble très bien s’en sortir dans la vie). Louis est un personnage trouble (et peu attirant), composé à la perfection par Emmanuel Schwartz, qui se met littéralement à nu devant la caméra et sans qui sans doute le film n’aurait pu se faire.

Film coup de fouet dont la volonté avouée est d’interpeller le spectateur et de le choquer par le portrait désabusé d’un trentenaire ambitieux mais livide qui végète dans une société en mal de prise de position et de repères culturels forts. Face à la léthargie du personnage principal, les auteurs ont eu la très bonne idée de proposer des textes écrits par les plus grands poètes que le Québec ait connus (Aquin, Hébert, Garneau, Lapierre ou Marie Uguay pour ne citer qu’eux). La beauté et la profondeur de ces textes font écho au vide culturel et idéologique de notre société, où la prise de position nationaliste semble de plus engluée dans un passé pas si lointain que ça.

Cette voie audacieuse choisie par les auteurs repousse les limites du thème du mal-être de la jeunesse québécoise, si présent dans le cinéma d’auteur actuel, à des limites inexplorées jusqu’alors. Pour autant, devrions-nous nous reconnaître devant ce portrait extrémiste ou imaginer les dérives possibles de notre société en mal de repères identitaires? Pas si sûr.

En effet, la présentation des tourments du personnage est exploitée de façon abrupte et frontale, mais surtout inégale. La haine anti-anglophone que Louis entretient reste peu évidente et pas toujours bien amenée et si la scène finale – horrible et gore à souhait – choque, elle ne revendique pour autant que peu le sentiment nationaliste du personnage. Hormis une altercation dans un bar et un party lors duquel il se sent rejeté, on ne comprend pas bien les revendications qui l’amènent à cette extrémité.

En résumé

Peu resteront indifférent à Laurentie, un film destiné à choquer et à éveiller le public, en alertant sur des problématiques peu abordées, telles que la place de plus en plus importante des anglophones, le vide idéologique et la merditude de la société en général. Un choix audacieux de la part des auteurs qui nous livrent ici un film choquant et rébarbatif mais qui n’en reste pas moins une démarche personnelle importante et courageuse.

Laurentie – Québec, 2011, 1h58 – Louis, un technicien en audiovisuel taciturne et replié sur lui-même est en pleine crise identitaire et existentielle et développe peu à peu un sentiment de haine envers les anglophones… – Avec: Emmanuel Schwartz, Eugénie Beaudry, Jade Hassouné – Scénario et Réalisation: Mathieu Denis et Simon Lavoie – Production: Nancy Grant, Sylvain Corbeil, Pascal Bascaron (metafilms) – Distribution: FunFilm Distribution

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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