Avec ses troublants Marécages, Guy Édoin trace un âpre portrait d’une famille déchirée en proie aux tourments causés par l’effondrement de son univers quotidien. Images crues, sentiments ambigus, situations étouffantes, Marécages est un film audacieux qui place d’emblée son réalisateur parmi les cinéastes sur qui il faudra compter à l’avenir.
Dans Marécages, il est question de Simon (Gabriel Maillé), un adolescent en pleine quête d’identité, rejeté par ses parents suite à un accident tragique survenu quelques années plus tôt. À la mort » accidentelle » de Jean, son père (Luc Picard) – une autre faute de Simon – il reste avec Marie, sa mère (Pascale Bussières) qui le délaisse lui et la ferme familiale, aux prises avec des problèmes financiers majeurs. Traumatisée Marie s’abandonne à un rustre voisin (François Papineau), venu pour donner un coup de main (et éventuellement posséder) cette femme perdue. Mais l’amant, une fois éconduit, finira par se venger.
Puisé à même les souvenirs personnels de l’auteur (qui est lui-même issu d’une famille de fermiers), Marécages est un film où les tensions familiales et les refoulements du passé refont surface à l’occasion d’une crise. Seul face à ces défis hors de l’ordinaire, chacun des membres de la famille évolue dans un monde propre à lui, à part des autres et ne peut compter sur personne pour supporter ce fardeau. L’absence de personnages secondaires dans le film est d’ailleurs assez frappante. Édoin filme une nature luxuriante, mais toujours calme et paisible et y oppose la tourmente dans laquelle se retrouvent ses personnages. Ce parallèle qui n’est pas sans rappeler celui de Mariages (Catherine Martin, 2001), vient renforcer de belle manière ce sentiment de solitude.
Cette incapacité de gérer les problèmes ensemble fait ressortir l’incommunicabilité qui règne en maître dans la ferme présentée comme étant le pathos inaliénable de ces êtres qui ont perdu le sens des valeurs familiales traditionnelles au contact de la rudesse et de la difficulté de leur vie quotidienne. Marécages puise ainsi une bonne part de sa force dans une réalité parfois ignorée, en tout cas rarement analysée, celle des gens de la terre, dont les difficiles conditions de vie nous parviennent timidement à l’occasion de faits divers ou d’émissions de télé-réalité.
C’est avec le souhait de « mettre en lumière le travail des agriculteurs, sans l’idéaliser, mais en le dépoussiérant de son côté bucolique et en montrant une réalité jamais vue au cinéma »[1] que Guy Édoin nous livre donc ce film dur et beau, à l’instar de cette scène de vêlage qui se termine mal, filmée avec intensité et tension, sans jamais verser dans le drame forcé.
Il est aussi indispensable de mentionner le jeu des comédiens qui, dans des rôles parfois ingrats, s’en sortent à merveille et trouvent le ton juste à tout coup. La maîtrise de la direction d’acteur de Guy Édoin est flagrante et participe à son tour à faire de Marécages un film fort qui restera en mémoire pendant encore longtemps.
En résumé
Marécages est un drame rustre et moite, tout comme son sujet qui dépeint la vie paysanne de façon peu glorieuse. Le premier film de Guy Édoin propose une histoire forte personnifiée par des comédiens au jeu impeccable. Un film qui laisse une empreinte importante dans la cinématographie québécoise de l’année.
Marécages – Québec, 2010, 1h51 – Sur une ferme laitiaire des Cantons-de-l’Est, une femme ayant perdu son mari se retrouve seule avec son fils adolescent. Un étrange voisin vient bientôt perturber une vie déjà compliquée – Avec: Pascale Bussières, François Papineau, Gabriel Maillé, Luc Picard – Scénario et Réalisation: Guy Édoin – Production: Roger Frappier (Max Films) – Distribution: Métropole Films
Ma note:
Référence : [1] : mot du réalisateur dans le dossier de presse