Qu’est-ce que la direction d’acteurs pour vous?
C’est de connaître très bien les personnages afin de savoir quoi dire aux acteurs pour pouvoir leur expliquer, débattre et identifier les émotions à faire passer; connaître très bien les scènes et leur sens de manière à savoir diriger les acteurs dans une continuité; avoir assez de jugement pour pouvoir nuancer le jeu; finalement, le choix de la valeur de plan.
Or, même si je m’intéresse beaucoup à la technique (j’aime cadrer, rechercher le bon cadre, le bon mouvement, la bonne lumière, faire des belles images, quoi!), j’accorde une importance capitale au jeu des acteurs. Ce sont eux qui font le film. Le cinéma que je veux faire en est un d’émotions.
Comme LISTE NOIRE était mon premier long-métrage, je voulais me sentir en confiance, être bien entouré. C’est pourquoi je n’ai fait appel qu’à des professionnels de talent. Mon rôle premier était d’accorder leur style de jeu au diapason du film. Un jeu grossi, extravagant et théâtral n’avait pas sa place. J’ai donc dirigé les comédiens dans l’optique de toujours chercher un jeu réaliste avec cette retenue qu’exige souvent le cinéma et qui, en outre, caractérise aussi les juges et les avocats. Ces derniers se doivent d’être en contrôle de leurs émotions de par leur profession. Ce qui était très intéressant, c’était de faire sentir, derrière cette retenue, l’angoisse, la peur et la panique prêtes à surgir à tout moment.
Le sexe et la violence sont souvent exploités de façon spectaculaire et gratuite au cinéma. Pouvez-vous préciser votre approche quant à ces scènes dans votre film?
Le sexe dans LISTE NOIRE, c’est la case départ, c’est ce par quoi le scandale arrive, c’est ce qui va faire naître l’intrigue. Les scènes de sexe n’ont pas fait exception à mon approche globale du film. C’est pourquoi, je les ai chorégraphiées au même titre qu’une scène de suspense dans l’idée, toujours, de jouer avec le public. On est loin de la scène d’ouverture de 37,2 LE MATIN, qui était très belle et très efficace, soit dit en passant.
Dans le film, ou retrouve trois scènes où la sexualité est, à différents degrés, explicite. Deux d’entre elles montrent Gabrielle avec ses clients. Ces deux scènes véhiculent une certaine incongruité; elles ont pour but de nous dévoiler des fantasmes sexuels d’honorables juges et avocats. Je n’avais évidemment pas l’intention d’être complaisant en exhibant des images racoleuses de couples en train de s’ébattre. Cependant, j’ai voulu être explicite, bien montrer les personnages à l’action pour qu’on en devienne gêné, surtout pour ces messieurs. On devait sentir aussi que la prostituée reste en contrôle, qu’elle joue la comédie. D’une part, le souvenir de ces images devait suffire à nous faire comprendre l’angoisse et la panique qui saisissent le milieu de la justice, et d’autre part, l’écœurement d’une femme. «Less is more», dit-on. Mais comme le dit Philip Kaufman : «Sometimes, more is more».
La caméra s’est faite voyeuse pour la scène au lit du juge Savard et de sa femme. Elle devait créer un suspense, dès le départ, en nous montrant qu’ils sont épiés par le voisin. Le public participe davantage à la scène de cette façon. Il devient voyeur, lui aussi, ou se meurt d’envie de crier aux Savard de tirer le rideau. Ici, par contre, j’ai voulu en montrer moins. Pour reprendre l’expression de Paul Schrader « People don’t really want to see sex. They want to almost see it ». C’est pour cette raison que nous avons opté pour un éclairage à contre-jour qui laisse les corps en silhouette noire. Et, pour accentuer l’impression de danger, nous avons créé un orage qui s’intensifie au rythme des caresses.
Quant à la violence dans le film, elle fait partie intégrante de l’histoire. Elle est inévitable et nécessaire au récit, et plus particulièrement, aux personnages qui la génèrent. Quand on accepte de faire un film dont l’un des personnages est un espèce de psychopathe dangereux, on accepte aussi de révéler la violence profonde et cachée de cet être.
La scène de découverte du cadavre d’un avocat devait être saisissante pour bien nous faire comprendre qu’il y a un tueur fou en liberté, et pour que le souvenir de cette image rende davantage angoissantes les scènes de suspense à venir.