[CRITIQUE] À tous ceux qui ne me lisent pas

Bien qu’il sorte des sentiers battus, tant pas son sujet que par sa volonté de se démarquer du biopic traditionnel, À tous ceux qui ne me lisent pas a plusieurs problèmes de taille à surmonter.

Martin Dubreuil dans À tous ceux qui ne me lisent pas de Yan Giroux (image extraite du film (Les Films Christal)

Martin Dubreuil dans À tous ceux qui ne me lisent pas de Yan Giroux (image extraite du film – Les Films Christal)

Pour son premier long métrage, Yan Giroux rend hommage à Yves Boisvert, auteur méconnu en dépit d’œuvres fortes – et nombreuses – publiées durant près de trois décennies. Saluons-le d’avoir pris une avenue se démarquant de la production québécoise habituelle et de nous donner ainsi l’occasion d’approcher une figure emblématique de la poésie québécoise récente. Cela dit, bien qu’il sorte des sentiers battus, À tous ceux qui ne me lisent pas a plusieurs problèmes de taille à surmonter. Souhaitant échapper aux codes du biopic traditionnel, les scénaristes (Giroux et Guillaume Corbeil) ont fait des choix (devrais-je dire des concessions?) narratifs pour le moins déstabilisants. À commencer par celui consistant à illustrer au présent la genèse d’un recueil écrit il y a plus de vingt ans. Et de le faire dans une unité de temps restreinte à quelques mois, peu avant la parution. De fait, le récit ne facilite pas le positionnement des Chaouins dans le cursus de son auteur, et n’offre en outre qu’une évocation très limitée de sa création. En résulte une distanciation avec le sujet, si ce n’est une frustration, comme si, dénuée d’informations biographiques tangibles ou de repères historiques, l’âme du poète avait du mal à s’incarner dans un contexte (culturel, socioéconomique, etc.) radicalement différent de celui d’alors.

Et ce n’est pas l’esthétique générale du film qui nous rapprochera de la psyché du personnage. Bien au contraire. Certes, À tous ceux qui ne me lisent pas nous donne un bel exemple du talent de Yan Giroux et de Ian Lagarde, son directeur photo, responsable du très bon All You Can Eat Bouddha, sorti en début d’année. Les images superbes, les plans précis, les décors… tout est parfait. Trop parfait. Et en totale contradiction avec le côté rugueux de l’artiste, sa quête de liberté et son refus du compromis. Heureusement, quelques scènes de lecture (trop rares, hélas) des textes de Boisvert laissent deviner un peu de sa colère intérieure. En fait, ce sera surtout par son apparence débraillée et dans son comportement subversif que l’on verra sa différence. Mais tout cela reste le plus souvent à la surface des choses. Et renforce du même coup le cliché du génie incompris, du « hoboe » sans le sou, en lutte permanente contre la société de consommation et le divertissement de masse. À ce chapitre, l’acharnement du scénario à se moquer des livres et émissions de cuisine paraît trop appuyé, tant les choix pour illustrer la culture abêtissante ne manquent pas. Reconnaissons toutefois la composition intense de Martin Dubreuil, dans un rôle taillé pour lui.

Cela dit, après avoir construit patiemment son personnage, À tous ceux qui ne me lisent pas rentre dans le vif du sujet alors que l’histoire de Marc prend le relais. Avec ses allures d’éveil initiatique, cette partie s’avère plus conventionnelle, mais aussi plus touchante, et surtout porteuse de thématiques intéressantes, comme la nature d’une relation père-fils, la passation de témoin entre un mentor et son aspirant, le conformisme institutionnalisé… Ce changement d’orientation de l’intrigue, jusque-là essentiellement concentrée sur la critique désabusée de la société québécoise, apporte une note d’optimisme, une ouverture positive à l’autre qui, peut-être en guise d’apothéose, donne à l’artiste le rôle de source d’inspiration pour la jeunesse. Il y avait probablement dans cette dernière demi-heure tous les éléments du vrai récit du film, et donc de l’hommage tant attendu à Yves Boisvert et à la ferveur de ses mots. Dommage qu’il ne s’insinue que si tardivement.

À tous ceux qui ne me lisent pas – Québec, 2018, 1h47 – poète maudit errant de porte en porte, Yves Boisvert s’immisce dans la vie de Dyane et de son fils adolescent – Avec: Martin Dubreuil, Céline Bonnier, Henri Picard – Scénario: Guillaume Corbeil, Yan Giroux – Réalisation: Yan Giroux – Production: Élaine Hébert, Luc Déry, Kim McCraw – Distribution: Les Films Christal

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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