[Critique] Ceux qui font les révolutions…

Par son audace formelle et narrative, Ceux qui font les révolutions… est d’ores et déjà inscrit comme une oeuvre marquante de la cinématographie québécoise.

Image d'Emmanuelle Lussier-Martinez cagoulée dans le film Ceux qui font les révolutions...

Emmanuelle Lussier-Martinez dans Ceux qui font les révolutions…

« Réalisez vos rêves, c’est possible » scande l’un de ces hideux panneaux publicitaires géants dont l’Amérique du Nord a le secret. Et dans la nuit montréalaise, quatre jeunes très propres sur eux, des pots de peinture blanche et rouge, une énorme dose de témérité. Bientôt, la transformation du message, passant de réclame à déclaration de guerre : « Le peuple ne sait pas encore qu’il est malheureux, nous allons le lui apprendre ». L’action présente – la bande des quatre – est filmée en plan semi-large, parfois même dans une image si resserrée qu’on ne peut la négliger. Puis en parallèle, quelques scènes recréées des émeutes étudiantes, cadrées en cinémascope, rappelant qu’on est bien dans un univers cinématographique, à l’instar de cette ouverture sur fond noir, style péplum ou western.

La fiction rejoint la réalité par l’emploi d’archives, dont, entre autres, celle de la procession religieuse des années 50, offrant un parallèle particulièrement fort avec les manifestations de 2012. Mis dans un contexte international, le Printemps érable québécois apparaît alors comme une évidence dans le concert des soulèvements populaires que le monde a connus au début des années 2010. Bien entendu on a droit à un extrait d’émission télé avec Jack Kerouac et de très nombreuses citations prophétiques… dont nous n’avons malheureusement pas réussi à obtenir les origines.

Remarquablement construit, Ceux qui font les révolutions… n’est pas le fourre-tout que ce qui précède aurait tendance à laisser entrevoir. Car c’est par sa façon de déjouer ses « handicaps » que le film convainc. D’abord son jusqu’au-boutisme : comment pouvait-il en être autrement des créateurs de Laurentie, serait-on tenté de demander. Certes, voilà du cinéma intransigeant qui vient brusquer le cours des choses et qui dérange bien des habitudes de spectateur, mais ici, rien n’est gratuit, en dehors de la scène du repas familial qui nous a paru déconnectée du récit et une ou deux petites longueurs. Tous les plans parviennent à dessiner un effet visuel ou émotionnel. En effet, il s’agit d’une Å“uvre aux manières « auteuristes » quasi exclusivement réservée à un public averti. Mais, son sujet, qui nous interpelle évidemment par son universalité, ne se réfugie pas derrière un propos inaccessible ou une idéologie catégorique. Les auteurs ne délivrent pas un blanc-seing aux exactions d’une gang d’hurluberlus du 1%. Le film laisse aussi le champ libre au point de vue d’une classe moyenne qui ne sait trop comment se situer dans la société actuelle et qui ne peut que constater l’écart qui se creuse entre elle, ses idéaux mis au rancart, et une jeunesse qui s’éloigne de plus en plus du système que leurs parents ont instauré. Dans une seconde partie moins tumultueuse, plus humaine et porteuse d’une vision désabusée sur la continuation concrète de la révolte, cette voix « alternative » est représentée par la déception du père de Tumulto, par le sentiment d’inassouvi du client de Klas Batalo, ou par les remarques pleines de bon sens (mais stéréotypées) de la famille à Roxanne. Le film nous surprend avec cette tournure plus sensible, alors qu’on ne l’attendait pas forcément emprunter ce chemin.

Par son audace formelle et narrative et pour les raisons évoquées ci-dessus (et bien d’autres!), Ceux qui font les révolutions… est d’ores et déjà inscrit comme une oeuvre qui survivra au temps, au même titre que Pour la suite du monde ou Le déclin de l’empire américain. Il y a longtemps que nous avions oublié à quoi ça pouvait ressembler une œuvre majeure de la cinématographie québécoise.

Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau – Québec, 2016, 3h03 – quatre jeunes Québécois refusent le monde tel qu’il leur est offert. Peu à peu leur refus tend vers le terrorisme – Avec: Charlotte Aubin, Laurent Bélanger, Emmanuelle Lussier-Martinez, Gabrielle Tremblay – Scénario: et Réalisation: Mathieu Denis et Simon Lavoie

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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