[Critique] Desvio de noche : en terre inconnue

Ce premier long métrage contemplatif est une douce invitation à la rêverie, doublée d’une délicate méditation sur l’absence et le deuil.

Prémisse : une journaliste sportive montréalaise tente d’en savoir plus sur une jeune patineuse artistique qui s’est – littéralement – évaporée en pleine compétition. Munie d’une lettre d’amour écrite par un certain Armando, la Québécoise part au Mexique, dans un village situé près de la côte où la disparue aurait vécu une partie de sa vie.

Une silhouette avance dans une rue sombre -Image extraite du film Desvio de noche d'Ariane Falardeau St-Amour et Paul Chotel
Image extraite du film Desvio de noche d’Ariane Falardeau St-Amour et Paul Chotel – Les films du 3 mars

Desvio de noche est une suite de rencontres, une incitation à connecter avec l’Autre et l’Ailleurs. Premier long métrage de deux auteurs émergents qu’il nous fera plaisir de revoir à l’oeuvre, ce périple en contrée mexicaine révèle une douce invitation à la rêverie, exigeante, certes, mais tout ce qu’il y a de plus captivante, au moins dans sa première moitié.  

À la voix hors champ envoutante de Marie Brassard, à une enquêtrice que l’on ne distingue que durant de furtifs instants, se conjuguent les images nocturnes d’une jungle luxuriante, celles, tout aussi impénétrables, d’une voute céleste émaillée de mille scintillements et celles, non moins déstabilisantes, d’un périmètre flou, reclus, et presque imaginaire, où tout semble s’être figé pour l’éternité. Avec sa direction photo contemplative, Ariane Falardeau-St Amour, livre ici un travail plus évanescent, mais tout autant représentative du lieu et du moment, que celui qu’elle avait accompli pour Mad Dog Labine.

Suspendus dans un espace-temps incertain, des êtres de chair et de sang vivent en symbiose avec les mystères de la nature. Les cinéastes sont partis à leur rencontre, et se sont immiscés à pas feutrés dans leur quotidien. Au fil de leurs témoignages recueillis par l’attentive et pudique journaliste, se love une délicate méditation sur le deuil et l’absence. C’est en grande partie grâce à ces récits intimes que le film parvient à teinter son atmosphère irréelle et son intrigue fictionnelle (totalement improbable, soit dit en passant) d’une saveur documentaire des plus pertinentes. Car, comment ne pas trouver dans ces touchantes interventions une trace des drames, hélas trop concrets, qu’ont connu des milliers de familles mexicaines déplorant la mort, qui d’un père, qui d’un fils, qui d’une sœur, et que Julien Élie avait évoqués de manière plus directe dans son terrifiant Soleils noirs.

Sciemment, les auteurs ont choisi d’aborder deux facettes de leur voyage, dans deux histoires se déroulant en parallèle. La seconde moitié, centrée sur deux amis se lançant à la recherche d’un trésor ancien caché à flanc de montage, se déroule sur un ton plus contemplatif, sans presque aucun dialogue. La volonté est louable, et même audacieuse, mais cependant pas entièrement convaincante. Non pas que le parcours d’Abdul et Richie soit dénué d’intérêt – on y suit une quête personnelle comparable à celle de la journaliste –, mais il m’a semblé trop déconnecté de ce qui précède. En l’état, les connexions ont du mal à s’établir. Quelques longueurs surgissent ça et là, les pistes de réponse à l’événement survenu en sol québécois ne viendront jamais, même par la bande. À tel point que le dénouement m’a paru inachevé.

Quoi qu’il en soit, Desvio de noche est de ces oeuvres précieuses, car non linéaires et de ce fait, insaisissables. À l’instar de Sophie Goyette avec Mes nuits feront écho, auqel on pense beaucoup durant le visionnement, Ariane Falardeau-St Amour et Paul Chotel offrent au spectateur désireux de s’aventurer dans des frontières inusitées le loisir de se perdre dans une expérience immersive, réflexive, baignée dans un univers fortement teinté d’onirisme et de poésie.

Desvio de noche – Québec, 2022, 1h37 – une journaliste sportive montréalaise tente d’en savoir plus sur une jeune patineuse artistique qui s’est évaporée en pleine compétition. Son enquête la mène au Mexique, dans un village côtier – Avec: Martine Francke, Marie Brassard, Abdellatif Touaïmia, Ricardo Flores Aguirre – Scénario: et réalisation: Ariane Falardeau St-Amour et Paul Chotel – Production: Jeanne Dupuis, Omar Elhamy, Simon Allard – Distribution: Les Films du 3 Mars

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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