Baignée dans une nature luxuriante photographiée une fois de plus à la perfection par Mathieu Laverdière, cette histoire aborde plusieurs thématiques universelles en évoquant tour à tour l’amour paternel, la solidité de la cellule familiale vue ici comme non pas comme un rempart indestructible protégeant de la mort, mais bien comme une terre d’accueil et d’accompagnement des plus jeunes (apprendre à conduire, porter les rêves de ses enfants) nous réconcilie en outre avec la figure du mâle québécois, teinté ici d’une émotivité rare, tant elle est naturelle.
Malgré un sujet sombre, Les êtres chers est une œuvre traitée avec pudeur dans laquelle la relation filiale y est exposée avec une impressionnante sensibilité. Usant de finesse pour dépeindre ses personnages, teintant son regard d’une évidente note personnelle, l’émotivité est permanente. Le spectateur connaît peu ou prou la fin de l’histoire [1]. Émond le laisse donc vivre en intimité avec ses protagonistes. Elle le laisse entrer dans leur psyché pour partager ces quelques instants de bonheur, qui on le sait, ne seront qu’éphémères. Après qu’il ait connu les vraies causes de la mort de son père, David se délite inévitablement sous nos yeux. Cette douce et lente transformation se fait tout en délicatesse, Émond filme ses proches sans insister sur leur transformation. Elle montre le temps qui passe, les enfants qui grandissent et la pensée qui s’assombrit. Comme nous voyons vieillir et changer nos propres êtres chers sans vraiment le remarquer. Jusqu’au jour où l’on se rend compte des rides, des cheveux blancs ou, chez David, d’une mélancolie qui se mute un beau matin en une ballade en forêt de laquelle on ne revient pas. Cette lente dégradation de l’âme, Émond la transpose à merveille.
Elle y arrive grâce à une direction d’acteurs remarquable et des comédiens impeccables, avec en tête Karelle Tremblay (qui ira aller loin, je le jure!) et Maxim Gaudette qui trouve là son meilleur rôle en carrière. Malgré la lourdeur du sujet, Anne Émond fait donc de cette transmission crépusculaire une histoire sobrement traitée à la façon d’une saga familiale. Sans tomber dans le mélodrame, elle précise les multiples trahisons que vivent les personnages et qui les suivent tout au long de leur vie, se transmettent, jusqu’à ce que Laurence y mette fin, à Barcelone ou sur les berges du Saint-Laurent, suite à un conseil avisé de sa grand-mère.
Pourtant, malgré ses qualités, le film d’Anne Émond ne satisfait pas pleinement. Notamment par son insistance maladroite à traiter des troubles psychologiques (la scène dans la classe où l’on nous explique l’origine du mot mélancolie, la démence du jeune Antoine), ou dans une rébellion de Laurence adolescente qui paraît inutile. Mais ce sont surtout les innombrables rebondissements finaux (j’en ai pour ma part compté pas moins de cinq!) qui constituent la partie la plus faible du film. S’étalant sur presque trente minutes, cette fin multiple se dirige dans des directions adjacentes, complémentaires certes, mais qui affaiblissent le récit au point de ne restreindre à la monstration d’une valse hésitation entre désespoir et renaissance presque prévisible. Cela étant dit, Les êtres chers est avant tout un film délicat, animé d’une grâce délicate.
Les êtres chers – Québec, 2015, 1h41 – Un marionnettiste dont le père s’est suicidé sans laisser d’explications tente d’oublier son drame intérieur. Sa femme qui l’aime et sa fille adolescente le soutiennent – Avec: Maxim Gaudette, Karelle Tremblay, Valérie Cadieux – Scénario: et Réalisation: Anne Émond – Production: Sylvain Corbeil, Nancy Grant – Distribution: Films Séville
Ma note:
[1] surtout s’il a vu cette maudite bande annonce qui – encore une fois – nous dévoile tout le film!