[Critique] Mon cirque à moi: fin d’un modèle

Offrant à leur tour une relecture de l’inépuisable récit d’apprentissage, Martin Forget et Myriam Bouchard signent un scénario léger et agréable, mais prévisible et non dénué de poncifs.

Laura se heurte à Bill, son père, parce qu’elle veut se construire seule. Lui ne voit rien de l’évolution de sa progéniture, qu’il a rigoureusement figée dans le temps en oubliant qu’un gamin aussi, ça peut avoir des souhaits pour l’avenir. Elle entre dans une église non pas parce que la révélation lui est tombée dessus, mais bien parce que son père lui a toujours défendu. Elle veut aller dans une école privée contre l’avis de celui qui lui a enseigné que c’est pas bien de côtoyer les riches. À treize ans, Laura cherche aussi à être « normale », comme sa copine, qui est le seul modèle auquel elle puisse vraiment s’identifier. Être un peu plus comme les autres, juste se perdre dans la masse, pour en finir avec l’ostracisation.

En le testant ainsi, elle réalise que le héros qu’elle aime n’est plus tout à fait celui qu’elle adulait. À l’orée de l’adolescence, la gamine prend conscience d’un monde de la marge qui s’est presque exclu de lui-même, un monde gentil limite bonasse, mais qui, derrière le maquillage et les jokes, manque cruellement d’ambition et de clairvoyance, au point de dilapider l’héritage maternel, garant d’un avenir meilleur.

Dans Mon cirque à moi, les antagonismes et la perte d’innocence sont nets. L’allumette qui met le feu aux poudres est là (la prof de maths), le soutien moral ne manque pas (Justine, Mandeep), et la déchéance du héros est d’autant plus douloureuse que les liens affectifs sont forts. La métaphore du Québec passé vs. le Québec de demain transparaît à travers les personnages de Bill et de Laura, les plus fouillés du lot. Et qui donnent l’occasion de mesurer le potentiel de la jeune actrice Jasmine Lemée, tout en confirmant le talent dramatique de Patrick Huard. Encore une fois, lorsqu’il fait des farces on se croirait encore dans le taxi de Rogatien, mais quand il doit « composer » une scène plus dramatique, il est très juste.

L’opposition entre deux générations portées par des idéaux distincts est vieille comme le cinéma et donne régulièrement l’occasion à nos auteurs de s’y frotter, en prenant généralement le sujet par le côté du drame ou de l’onirisme. Offrant à leur tour une relecture du récit d’apprentissage, Martin Forget et Myriam Bouchard ont plutôt opté pour la légèreté, en prenant soin de respecter à la lettre le mode d’emploi d’usage, ses conventions, ses codes, mais aussi ses poncifs (les broches qui disparaissent par miracle à la fin du film… en 2020?). Le discours « l’école privée, c’est bien mieux » est trop appuyé (message sur les réductions budgétaires, toit qui coule), on voit venir la fin des heures à l’avance et quelques passages peinent à décoller (la banque, la réunion de parents).

Reste que j’ai plutôt aimé la chimie entre les personnages et la progression dramatique de l’ensemble, qui passe lentement d’un comique-satirique affirmé au drame plutôt doux-amer. La réalisation de Myriam Bouchard et la direction photo de Ronald Plante donnent naissance à quelques beaux moments lumineux, comme la scène de l’enterrement, la plus belle du film. En somme, en dépit de ses faiblesses et de son air de déjà vu, Mon cirque à moi offre une variation divertissante à ce genre inépuisable.

Mon cirque à moi – Québec, 2020, 1h45 – Laura, treize ans, est tannée d’être sans arrêt en tournée avec son père Bill, clown itinérant. Désireuse d’une vie plus stable, elle insiste pour entrer à l’école privée. – Avec: Patrick Huard, Jasmine Lemée, Robin Aubert – Scénario: Martin Forget, Myriam Bouchard – Réalisation: Myriam Bouchard – Production: Antonello Cozzolino – Distribution: Les Films Séville

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★★ Moyen
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