[CRITIQUE] Une colonie : moi et l’Autre

Geneviève Dulude-De Celles offre un regard juste et empathique sur les incertitudes de la jeunesse dans Une colonie, un premier long de fiction très prometteur.

Émilie Bierre dans Une colonie (la jeune fille est dans son bain. On ne lui voit que la tête, restée hors de l'eau)

Émilie Bierre dans Une colonie

En suivant le parcours d’une jeune fille qui prend progressivement conscience d’elle-même et du monde qui l’entoure – incluant la complexité des rapports entre adultes –, Geneviève Dulude-De Celles apporte une confirmation très franche du talent démontré avec son court métrage La coupe et son documentaire Bienvenue à F.L.

Formant le troisième côté de la pyramide avec les deux films précités, Une colonie est un récit initiatique porté par la justesse et la simplicité d’un regard empathique, refusant le pathos, s’éloignant du mélodrame et évitant soigneusement de tomber dans le sentimentalisme. Par touches précises, la cinéaste capte les silences, les doutes, les peines et les joies d’une période d’apprentissage délicate, au fil d’une intrigue minutieuse jusque dans ses moindres détails, dans lequel tous ces moments fugaces s’amalgament en toute discrétion dans des séquences et des portraits parfaitement réalistes. Mylia et sa petite sœur espiègle, ses copines de classe prêtes à s’abandonner pour rester à la page, sa professeure d’histoire, le jeune amérindien… autant de visages qui évoquent des réalités que l’on a plus ou moins croisées. En ressort la vision d’une collectivité, certes personnelle et finalement très québécoise, mais dotée d’une forte valeur universelle.

Le personnage de Jimmy, le jeune Abénaki rebelle qui permet à Mylia de prendre consciences des origines de son terroir, donne l’occasion à Dulude-De Celles de se démarquer. Car, à la différence des autres cinéastes ayant abordé l’enfance, Dulude-De Celles intègre à l’intimité de son étude une dimension sociale omniprésente qui fait toute la spécificité de sa démarche. La référence à notre passé de colonisateurs – inscrite à même le titre du film – nous renvoie une image très concrète de la vie en région, où communautés autochtones et population « blanche » se côtoient dans l’ignorance l’un de l’autre. Sans que sa présence ne fasse l’objet d’un pamphlet, ni ne soutienne une thèse quelconque, Jimmy devient un ressort dramatique fort, organique, et original. Et quasi absent du cinéma de fiction québécois.

Pour le reste, on reconnaît du premier coup d’oeil la capacité innée de la réalisatrice à choisir et à diriger les jeunes. Sa maîtrise formelle aussi. Supportée par les subtils mouvements de caméra de ses deux opérateurs (Léna Mill-Reuillard, Étienne Roussy), la réalisation atmosphérique se déploie en toute liberté, au fil d’un récit d’une belle fluidité, certes parfois un peu trop appuyé, mais qui évoque parfaitement les incertitudes et l’état d’apesanteur dans lequel sont plongés les jeunes protagonistes.

Doté de plusieurs scènes émotionnellement très riches, le film repose en grande partie sur les épaules de la déjà très mature Émilie Bierre, découverte il y a six ans dans Catimini de Nathalie Saint-Pierre. La comédienne est tout simplement éblouissante dans la peau de cette enfant renfermée ne désirant qu’une chose : se faufiler hors des conventions pour se frayer un chemin bien à elle. Seul regret: le rebondissement final. Il nous a paru trop important pour être si vite évacué. À l’instar des personnages des parents, peu exploités, on a l’impression d’avoir assisté une seconde histoire en parallèle, sans jamais vraiment y être conviés. Il aurait peut-être été intéressant de les étoffer un peu, ou de les ignorer complètement pour ne pas créer de diversion. Quoi qu’il en soit, Geneviève Dulude-De Celles réussit une gageure difficile : rendre original un sujet maintes fois vu. Ce n’est pas la moindre des réussites de cette œuvre douce-amère qui démontre sans aucun doute possible le talent d’une auteure à suivre de très près.

Texte rédigé en septembre 2018 après la présentation du film au Cinéma du Musée.

Une colonie – Québec, 2018, 1h42 – Entre l’hostilité de l’école secondaire et la cacophonie du nid familial, Mylia cherche ses repères. Sa rencontre avec un camarade de classe amérindien l’amènera à tracer les contours d’une vie nouvelle – Avec: Émilie Bierre, Irlande Côté, Jacob Whiteduck-Lavoie – Scénario et Réalisation: Geneviève Dulude-De Celles – Production: Colonelle films – Distribution: FunFilm Distribution

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