[Critique] Viking : vie de caserne

Viking est une illustration parfaite du style inimitable de Stéphane Lafleur, cinéaste essentiel qui a décidément beaucoup de choses à nous révéler sur nous-mêmes.

Image extraite du film Viking de Stéphane Lafleur (enterrement de l'astronaute)
Image extraite du film Viking de Stéphane Lafleur

En s’associant avec Eric K. Boulianne, Stéphane Lafleur a trouvé un partenaire de choix, complémentaire dans l’univers absurde si caractéristique à ses trois précédents films. Il y a en effet dans Viking une comédie grinçante et assez jouissive qui aborde subtilement plusieurs travers sociaux contemporains. On y retrouve, pêle-mêle, des réflexions sur le besoin de se sentir utile à tout prix dans une société dirigée par la performance, et on y parle abondamment de cette façon que l’on a de vouloir – sans arrêt et à n’importe quel prix – « faire une différence » sans jamais vraiment savoir de quelle différence il est question.

Pour mieux illustrer l’incommunicabilité, Boulianne et Lafleur s’appuient sur toutes ces petites phrases toutes faites que l’on dit machinalement, totalement vides de signification, à l’instar du sempiternel « je suis content d’avoir eu cette conversation », alors que tout laisse croire le contraire. Ils exploitent aussi notre capacité de s’appesantir sur des banalités (on rationne le sucre, on se chicane pour un stylo en plastique…) pour mieux éviter d’aborder de front les vrais enjeux, et, évidemment, ils tirent à vue sur les soi-disant « matchs parfaits » des applications de nos téléphones mises au point par des algorithmes faillibles.

Voilà en quelque sorte les moteurs qui animent cet étrange Viking, explorateur et barbare des temps anciens qui se retrouve propulsé en pleine conquête spatiale aux côtés de cinq hommes et femmes chargés d’une mission aussi improbable qu’irréalisable. Et qui sont par la force des choses obligés de se parler, de vivre ensemble et de se tolérer après avoir été enfermés dans un centre décrépit (que l’on croirait tout droit sorti d’une série Z de science-fiction des années 1950), sans cellulaire, ni possibilité de sortie.

Toujours animé d’un regard bienveillant sur ses personnages et encore une fois incarné par des comédiens aussi solaires et habités que leurs personnages (Houle, Laplante et Brassard sont tordants), le scénario de Lafleur et Boulianne possède aussi une portée philosophique plus profonde, ouvrant la voie à un deuxième niveau de lecture du film. Il y est question de notre capacité à ériger à peu près n’importe qui au rang de héro national, de l’anonymat d’une vie passée par procuration, de notre irrépressible volonté de tout contrôler alors que justement il est impossible de prévoir les comportements, de l’incapacité de vivre sans véritable relation, sans émotion ni plaisir, etc.

On peut certainement voir dans Viking un parallèle assez fort avec la façon dont les gouvernements ont tenté de maîtriser la pandémie de COVID-19 en gérant les relations humaines à distance, sans vraiment chercher d’autres moyens que la contrainte, donc en supprimant les contacts par l’instauration d’un isolement en « bulle Â». On peut d’ailleurs voir un clin d’œil assez fort à cette bulle théorique dans le casque protubérant, nettement surdimensionné, porté par nos cinq spationautes. En somme, Viking embrasse assez large et fait écho d’une manière ou d’une autre à une part de notre propre réalité.

Cela dit, je trouve que le film installe assez tôt une certaine lassitude, tantôt par l’instauration d’une ambiance déshumanisée pesante, tantôt en raison des répétitions imposées par les rituels quotidiens, ou encore à cause de son manque de tension dramatique. Tout ou presque est démontré en trente minutes, l’heure qui suit ne servant qu’à dérouler le reste de l’écheveau. En outre, certains développements me paraissent inaboutis (l’annonce du cancer de la blonde à « John Â»,  la relation de ce dernier avec « Steve Â»). Doté d’une photo très maîtrisée, très expressive de Sara Mishara et de la DA d’André-Line Beauparlant, artisane hors pair dans la création d’atmosphères visuelles évocatrices, Viking est malgré cela une illustration parfaite du style inimitable de Stéphane Lafleur, cinéaste essentiel qui a décidément beaucoup de choses à nous révéler sur nous-mêmes.

Viking – Québec, 2022, 1h44 – Cinq hommes et femmes acceptent de servir de doublure à une équipe d’astronautes en mission sur Mars afin d’aider l’agence spatiale à régler d’éventuels problèmes relationnels – Avec: Steve Laplante, Larissa Corriveau, Denis Houle, Marie Brassard – Scénario: Stéphane Lafleur, Eric K. Boulianne – Réalisation: Stéphane Lafleur – Production: micro_scope – Distribution: Les Films Opale

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