[CRITIQUE] Wilcox: réel et intangible

Qui? Quoi? Comment ? On vous en dit un peu plus (mais pas tout) sur « Wilcox », ce douzième film de Denis Côté autoproduit et autodistribué.

Wilcox et son autobus vert face au soleil couchant dans la campagne québécoise (extrait du film de Denis Côté)
Wilcox et son autobus vert (extrait du film de Denis C̫t̩ РCr̩dit: Annie St-Pierre)

Wilcox, c’est qui?

Wilcox, c’est un inconnu. Un personnage errant, traversant les contrées verdoyantes du Québec, sans que l’on ne sache qui il est et sans qu’aucune indication ne soit fournie sur son parcours. Il transporte son barda sur le dos, comme d’autres traînent leur mallette d’ordinateur ou leur sac de sport. Il vole à la tire des cannes de « Chef Boyardee » pour subsister dans les épiceries qu’il croise. Il s’arrête pour la nuit dans des maisons vidées de leurs résidents ou dans des autobus délabrés abandonnés à la nature. Comme dans Elle veut le chaos, on sent bien que la société « normale » est toute proche. Wilcox – si tel est son nom – n’est pas encore tout à fait exclu, plutôt dans un état transitoire, entre le concret et l’imaginaire. Entre l’appartenance au monde des autres et la recherche de son propre univers.

Les espaces qu’il occupe ont eu jadis une vie, une histoire. Ils ont protégé et transporté, jusqu’à ce que leur temps soit révolu et qu’ils aient été mis au rancart. L’inspiration de Côté s’est portée explicitement sur les récits de quelques figures marquantes ou non d’aventuriers errants, tels Chris MacCandless, objet du film Into the Wild (Sean Penn, 2007). Wilcox, c’est donc peut-être une illustration de ces gens qui cherchent à se s’incarner dans des destinées parallèles, qui vivent le présent en se replongeant dans le souvenir de leurs congénères, tentant d’y ressentir une présence disparue. Wilcox, plus simplement, c’est un être souhaitant se redéfinir en dehors des sentiers balisés de la société.

Wilcox, c’est quoi?

Mais au fond, Wilcox n’est pas si inconnu que ça. Il s’agit avant tout d’une énième variation de l’antihéros cher au cinéaste, avec ses incertitudes et cette éternelle incapacité à se comporter selon les règles de la normalité. On en retrouve les prémisses dans ce montréalais exilé à Radisson (Les États nordiques), dans ces criminelles perdues au fond du bois pour oublier un passé trouble (Vic+Flo ont vu un ours), ou encore dans le comportement asocial du papa de Julyvonne dans Curling. Wilcox, c’est un personnage, un film, un état d’esprit 100% Côté.

Si Wilcox pourrait être interprété comme une métaphore d’un monde cruellement matérialiste, il constitue plus certainement une illustration supplémentaire de l’inlassable travail sur la forme, entrepris par un cinéaste boulimique, jamais à court d’idées. Et dont la filmographie, avec ses hauts, ses bas, ses insuccès, affiche néanmoins une cohérence frappante, réellement unique.

Wilcox, c’est comment?

Un film « institutionnel » précède un film autoproduit qui précède un autre film « institutionnel » qui précède…, etc. Cette alternance de moyens et de styles est-elle systémique? Difficile à dire. Quoi qu’il en soit, Wilcox s’inscrit dans la veine de ces productions à petit budget élaborées très rapidement et radicalement différentes de tout ce que le cinéma québécois à l’habitude de montrer. Il a été produit et fabriqué sur des chemins de traverse – au propre comme au figuré – par des artistes de haut calibre: François Messier-Rheault à la photographie, Jean-François Caissy à la prise de son, Matthew Rankin au montage, Roger Tellier-Craig au bidouillage sonore, entre autres. Et cela se ressent, car même si Wilcox n’est pas le plus abouti des films de Côté (Que ta joie demeure était plus intéressant d’un point de vue narratif), c’est sans doute avec Bestiaire son oeuvre à l’esthétique la plus travaillée (la plus « patentée » serait plus appropré).

Comme d’habitude chez Côté, la narration conventionnelle est proscrite. L’absence de dialogues est d’ailleurs la meilleure des réponses apportées par le cinéaste, laissant le spectateur libre de se forger une compréhension toute personnelle. Si le film donne à réfléchir sur son sens caché, il nous force aussi à repenser notre rapport à l’image et à ses multiples formes de significations.  

Wilcox c’est un univers sans frontière qui allie comme personnage son apparente irréalité avec un ancrage tout à fait concret. On peut ne pas appréhender ce monde étrange, on peut rester insensible, on peut même le rejeter en bloc. Mais on peut, comme ce fut mon cas dès la première seconde, vouloir y entrer sans réticence, l’esprit ouvert. Exactement comme pour les yeux vitreux des animaux de Bestiaire, les comportements « weird » des culturistes de Ta peau si lisse ou la cour à scrap de Jean-Paul Colmor dans Carcasses.

En ce sens, ce douzième long métrage a de fortes chances de bien mieux résister à l’usure du temps que d’autres productions. Et c’est précisément pour cela que l’on aime le cinéma de Côté et qu’on ne se lasse jamais d’explorer.

Wilcox – Québec, 2019, 66 minutes – un homme seul vêtu d’un treillis militaire parcours les routes du Québec, sans but apparent – Avec: Guillaume Tremblay – Scénario et Réalisation: Denis Côté – Production: et Distribution: Inspiratrice et Commandant

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