[Critique] Anna: la justice du talion

Ce que l’on retiendra d’Anna c’est une première demi-heure sobre et haletante à la fois qui parvient à suggérer l’horreur des sévices avec suffisamment de force pour faire froid dans le dos, tout en évitant de tomber dans le voyeurisme. Une pudeur que l’on ne retrouve pas dans la seconde partie, qui possède en outre de grosses ficelles.

Photographie de la jeune Chonticha Lauruangthana dans le film Anna (Charles-Olivier Michaud, 2015 - Films Séville)

Chonticha Lauruangthana dans le film Anna (Charles-Olivier Michaud, 2015 РFilms S̩ville)

Déjà dans Snow and Ashes, premier long métrage du cinéaste, un événement tragique (journalistes dans un pays éloigné) précédait une lente reconstruction personnelle (retour au Québec et doutes existentiels) doublée d’une volonté de dénouer les mystères entourant le drame vécu. Dans ce premier film, la réalisation de Michaud créait des ambiances tendues qui véhiculaient une forte teneur anxiogène, tout en maintenant en vie l’obscurité des faits réels, laissant donc le doute planer sur les origines des troubles psychologiques. Avec Anna, Michaud est plus direct dans son approche. La cible est clairement identifiée. On reconnait son talent de metteur en scène et son partenariat avec le directeur photo Jean-François Lord délivre une nouvelle fois un film à la facture visuelle de premier ordre, alternant entre froideur des rues montréalaises et chaleur des séquences d’action, notamment celles montrant les combats de boxe thaï.

Plans fixes des visages de jeunes femmes marquées à vie. Témoignages qui ne sortent pas mais que l’on ressent. Une horreur que l’on ne découvre que par les sonorités assourdies ou par quelques images volées à l’entrebâillement d’une porte. Anna, c’est trente premières minutes à fois sobres et haletantes, qui parviennent à suggérer les sévices avec suffisamment de force pour faire froid dans le dos, tout en évitant de tomber dans le voyeurisme. Une première partie qui évoque aussi la périlleuse mission des reporters photographiques évoluant plus souvent qu’autrement en terrain miné, osant braver les interdits au péril de leur vie. Charles-Olivier Michaud va nous livrer un cinquième film de haute volée, sans pathos ni sensations fortes, se dit-on alors.

Puis, un plan fixe du visage tuméfié du protagoniste sur son lit d’hôpital. Des blessures, des marques, des points de sutures, une douleur qui crève l’écran. En transposant son action à Montréal, le film se concentre essentiellement sur Anna et montre sa lente reconstruction personnelle et professionnelle. Puis sans trop de conviction, surgit la vengeance. Au contact d’un revenant qu’elle avait croisé là-bas, sorti un peu de nulle part, qui revient à Montréal « pour régler des affaires ». Ce sont ces affaires-là qu’Anna tentera de découvrir, quitte une nouvelle fois à y laisser sa peau. On replonge alors dans un milieu brutal, filmé fébrilement, montrant la violence ordinaire des hommes, dans des combats de boxe hyper violents ou dans l’exploitation de la femme, en plein quartier chinois. Cette transposition de l’action établit un parallèle entre Montréal et la Thaïlande (le pays n’est pas nommément cité). Mais fait aussi perdre au film sa retenue initiale. Quelque temps plus tard, Anna retrouve son appareil photo, presque intact, et la violence que l’on avait ressentie au début du film resurgit alors – projetée en grand sur un mur – avec une insistance trop explicite, car ces scènes, nous les avions déjà imaginées.

Le viol, la torture, des images presque belles filmées avec une parfaite mise au point par une caméra qui traine à terre. Les ficelles sont un peu grosses. Il en va de même pour l’enquête de la jeune femme qui trouve sur son chemin des portes s’ouvrant un peu trop facilement et des coupables Å“uvrant un peu trop à ciel ouvert. La voix rocailleuse d’Anna Mouglalis sied à son personnage, sa violence latente ne parvient toutefois pas à convaincre pleinement. D’autant plus qu’en insistant sur les représailles, le scénario peine à faire le lien avec son sujet initial (l’exploitation des femmes asiatiques). Il le reprendra indirectement cependant, dans une finale convenue qui marque la paix enfin revenue d’une femme qui a décidé de se libérer en relatant son aventure.

Anna – Québec, 2015, 1h48 – Rapatriée à une photojournaliste violée et battue lors d’un reportage en Thaïlande cherche à en savoir plus sur l’identité de ses bourreaux. Ses retrouvailles avec un québécois rencontré là-bas changeront bien des choses – Avec: Anna Mouglalis, Pierre-Yves Cardinal, Pascale Bussières – Scénario: et Réalisation: Charles-Olivier Michaud – Production: GO Films – Distribution: Les Films Séville

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★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
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