[Critique] Ésimésac: le côté obscur du conte

Plus sombre et plus amer que ne l’était Babine, Ésimésac est bien servi par une interprétation habitée et une reconstitution hors pair des décors. On n’évite toutefois plusieurs gags éculés.

Nicola-Frank Vachon et Isabel Richer dans Ésimésac de Luc Picard

Nicola-Frank Vachon et Isabel Richer dans Ésimésac de Luc Picard (Photo Bertrand Calmeau)

Quatre ans après Babine, Fred Pellerin et Luc Picard effectuent avec Ésimésac un changement de cap radical. Madame Gélinas enceinte depuis vingt ans a finalement accouché du grand et fort Ésimésac, un gaillard âgé de deux ans et dépourvu de toute ombre. Babine a fui le village et depuis, la crise s’est invitée à la table. Nous voilà donc plongé dans un monde dur qui s’est fait rattraper par la réalité économique. Le projet de jardin communautaire destiné à nourrir le village est délaissé au profit de l’appât du gain procuré par un hypothétique développement économique.

L’univers poétique des Babine et des Lurette a donc bien changé et se retrouve teinté d’un arrière-goût d’amertume et de. La vision de Pellerin sur la société se désabuse et laisse entrevoir les travers du progrès technique que nous connaissons fort bien aujourd’hui. Injustices, exploitation ouvrière ou avarice deviennent le quotidien de nos paisibles villageois. Omniprésence du crédit, flambée des prix et concurrence déloyale sont également montrés du doigt dans cette fable qui reste néanmoins assez onirique et surréelle, mais on sent que la plume de Fred Pellerin est devenue un peu plus amère.

Certes le trait est gros et la charge contre le progrès est assez peu nuancée. Cependant, bien que les plongeant dans un environnement aux contours résolument actuels, les scénaristes ont réussi à réinventer leurs personnages sans leur faire perdre trop de leur caractère initial. Ésimésac étonne de prime abord par son habile mélange de magie féérique et de réalisme social. Le film parvient à naviguer adroitement sur la mince ligne du rêve et de la réalité, se fondant dans les limbes bleutés du conte féérique pour mieux redescendre sur terre dans la scène suivante.

Pour coller avec une réalité plus tangible, Luc Picard a également su faire évoluer l’aspect visuel du film et lui a donné une teinte assez différente de celle de Babine. Les effets numériques sont moins présents, tandis que les décors, reconstruits dans une vallée verdoyante située au nord de Lachute, se sont nettement bonifiés au point d’être un renfort appréciable au côté réaliste de l’intrigue. Avec un budget de moins de 7 millions de dollars, on doit avouer que le rendu est parfait. Ésimésac nous rappelle le Séraphin version 2002, ce qui n’est pas sans intérêt pour le distributeur qui se sert de cette filiation directe dans la promotion de son produit.

Malgré la qualité indéniable de ses éléments techniques, Ésimésac ne parvient toutefois pas à nous faire oublier quelques lacunes qui deviennent dérangeantes plus le film avance. Au rang des regrets, citons les dialogues qui pèchent par facilité ainsi que plusieurs scènes qui ne produisent pas l’effet escompté (celle, particulièrement fade, du repêchage du pétale dans l’évier, entre autres). De plus, l’allégorie de l’ombre qui grandit au fur et à mesure que l’égo augmente, parfait reflet de l’évolution du personnage d’Ésimésac, aurait mérité meilleur traitement au lieu de n’être qu’effleurée.

En résumé

Plus sombre et plus amer que ne l’était Babine, Ésimésac est bien servi par une interprétation habitée et une reconstitution hors pair des décors. Si l’aspect conte fantastique nous autorise à pardonner les nombreuses incertitudes chronologiques ou historiques, on ne peut être aussi indulgent sur la facilité des dialogues qui font trop souvent la part belle aux calembours douteux et aux farces éculées. Cette incursion de l’imaginaire fantastique de Pellerin dans un monde devenu plus dur et plus individualiste ne nous laisse finalement qu’une impression mitigée.

Ésimésac – Québec, 2012, 1h44 – Alors que la crise économique frappe le village de St-Élie-de-Caxton, Ésimésac persuade les vilageois de mettre leurs ressources en commun pour faire un jardin communautaire. Mais la construction du chemin de fer et le passage éventuel du train au village changent leurs plans. – Avec: Luc Picard, Nicola Franck-Vachon, Gildor Roy, Maude Laurendeau, Sophie Nélisse – Scénario: Fred Pellerin, Luc Picard – Réalisation: Luc Picard – Production: Lorraine Richard, Luc Martineau (Cité-Amérique) – Distribution: Alliance Vivafilm

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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