[Critique] Nelly : troublants visages

On ne pourra pas reprocher à Anne Émond d’avoir osé s’écarter du droit chemin de la biographie filmée, mais la froideur de ce récit non linéaire nous empêche de nous abandonner pleinement.

La comédienne Mylène Mackay dans Nelly d'Anne Émond (Films Séville)

La comédienne Mylène Mackay dans Nelly d’Anne Émond (Films Séville)

Quelque part entre biopic timoré et transposition audacieuse, ce Nelly d’Anne Émond de percer la vie mouvementée de l’auteure de Putain sous la forme d’une mosaïque dans laquelle les différentes facettes de cette femme en proie à de profonds déchirements intérieurs s’entremêlent pour ne former qu’un. La tâche n’est pas aisée tant cette personnalité complexe, encline à s’abandonner aux gestes les plus extrêmes, semble insaisissable. Pour retrouver son chemin, la cinéaste a opté pour une structure similaire à celle qui avait été imaginée par Sophie Cadieux pour la pièce La fureur de ce que je pense mise en scène par Marie Brassard (Espace GO, saison 2012-2013).

Mylène MacKay porte toute l’entreprise sur ses épaules et qui sera sans doute acclamée pour sa prestation délicate, à tel point que les seconds rôles ne servent que de faire-valoir. On la croise en rousse, brune ou blonde, en putain, célébrité, jeune perdue, ou en écrivaine fragile, interprétant sa Nelly sous toutes les coutures, sans compromis. Virevoltant, le récit nous transporte dans le luxueux loft de l’escorte, dans les salons mondains parisiens, en passant par l’appartement crade de la junkie ; les courts tableaux s’enchaînent comme des vignettes, sans que l’on ait vraiment le sentiment que ces personas parviennent à fusionner l’un dans l’autre. Le film éprouve aussi des difficultés à transcender le côté visible d’une déchirure très médiatisée. Les clichés des diverses formes d’attirances ou de contradictions se voient d’autant plus qu’aucun des aspects du personnage n’a le temps d’exprimer pleinement sa complexité. C’est le cas par exemple de son besoin impérieux d’exister aux yeux des autres, montré dans les scènes de Nelly-la-starlette-à-paillettes ou celle de la séance de psychanalyse, entre autres, qui aurait mérité d’être approfondi plus avant. Il en ressort une vision presque uniforme, bien que la lecture de textes en voix hors champ offre la possibilité de faire le lien entre la femme et ses écrits. Et l’impression d’unicité est renforcée par une mise en images très classique qui n’évolue guère au fil des variations affectives des sujets.

Certes, on ne pourra pas reprocher à Anne Émond d’avoir osé s’écarter du droit chemin de la biographie filmée. On retrouve ici des thématiques connues, notamment le suicide et le sexe provocant, mais cette fois, la froideur de son récit, son absence de charge émotionnelle, ou plutôt sa fabrication mélodramatique, nous empêche de nous abandonner pleinement. De plus, le rappel qui est fait aux sorts tragiques d’Amy Winehouse et de Marilyn Monroe s’inscrit comme un mystère à peine éclairci. On est donc assez loin de l’épure de Nuit #1, qui reste à ce jour l’œuvre la plus audacieuse de la cinéaste, tant sur le plan formel que narratif.

Nelly – Québec, 2016, 1h41 – Troisième film d’Anne Émond, Nelly est librement inspiré de la vie de la romancière québécoise Nelly Arcan – Avec: Mylène Mackay, Milya Corbeil-Gauvreau, Mickaël Gouin – Scénario: et Réalisation: Anne Émond – Production: Nicole Robert – Distribution: Les Films Séville

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