[Critique] Ville-Marie: quatre solitudes

Portrait de la maternité tourmentée, Ville-Marie est à la fois un drame de société éprouvant et un exercice de style rendant hommage au cinéma glamour des années 50. Plongé dans un univers nocturne d’où ressort une morosité omniprésente, ce concerto baroque repose sur des tonalités trop contrastées. Le choc des styles déroute.

Aliocha Schneider n'est pas encore sous le choc... - photo officielle de Ville-Marie (Max Films Média)

Aliocha Schneider n’est pas encore sous le choc… – Ville-Marie (Max Films Média)

D’un côté l’infirmière et son fils absent (Pascale Bussières), réduite à oublier sa désolation dans des quarts de travail abrutissants, et de l’autre, la belle comédienne européenne (Monica Bellucci) venue à Montréal tourner dans un film aux relents autobiographiques. C’est sur ces deux visages de la maternité que Ville-Marie repose en grande partie. C’est aussi sur ces deux histoires de femmes souffrantes qui se répondent, que viendront se greffer d’autres vies brisées. Celle des deux ambulanciers tout aussi solitaires (Patrick Hivon, Louis Champagne) et celle du fils de la comédienne (Aliocha Schneider), indécis quant à ses origines.

À partir de ces quatre visages icôniques de la solitude urbaine, Guy Édoin a construit un film bicéphale, un concerto baroque aux accents très contrastés, évoquant à la fois un drame de société réaliste et un mélo romanesque des années 50. Édoin ne s’en cache pas, il voulait rendre hommage aux films hollywoodiens de la belle époque. Son plaisir cinématographique se transpose ici dans une mise en abyme cinéphile aux nombreuses références. Le film dans le film propose un tournage résolument irréel très peu détaillé, en dehors de quelques scènes précises faisant écho à la vie de la comédienne. Dans ces quelques séquences hautes en couleurs, le spectateur s’amusera à retrouver l’origine hitchcockienne ou wellesienne de tel ou tel plan, costume ou raccord. Il y verra sans aucun doute un clin d’œil à la blondeur de Lana Turner, à la robe pourpre de Rita Hayworth ou au décor rose bonbon et amples mouvements de caméras des drames en Technicolor de la MGM.

En opposition à ce studio de cinéma en carton pâte, la vie, la vraie, celle dans laquelle on sauve des vies sans trop savoir pourquoi, mais aussi celle où l’on se suicide, où l’on noie sa douleur dans le sexe, la drogue et même le surmenage. Les personnages sont au bord de la dépression. Le fils est quasi orphelin, l’infirmière est sans son fils ni amour, de même que l’ambulancier qui, en plus, traîne un trouble passé militaire. Qu’est-ce qui les relie alors? La nécessité d’avancer malgré tout et de sauver ce qui peut l’être? La métaphore de l’ambulance et de l’hôpital est peut-être un peu trop évidente. L’envie d’en finir? Comme dans cette première scène, violente, incontournable, qui ouvre le film sur sa vraie nature, celle du combat permanent entre le désir de vivre et celui de s’abandonner.

Édoin et son co-auteur Jean-Simon DesRochers laissent au spectateur le choix de faire les connexions entre ces errances. Car s’il est bien choral, et que tout devrait se rejoindre à la fin, le film n’offre heureusement pas toutes les ficelles pour décoder les actes de ses personnages. Un mystère gardé entier, à l’instar du personnage de l’infirmière nommée Marie Santerre comme dans Marécages, et dont le prénom accolé au mot « ville » peut peut-être nous laisser croire que nous sommes dans sa ville, dans son monde, l’univers violent et contrasté d’une métropole américaine. Marie accueillera dans son hôpital le glamour de la star, celle qu’elle ne sera jamais, mais qui au fond lui ressemble beaucoup, car malgré les différences de classes, leur condition de mère les rapproche.

Pour son second long métrage, Édoin a donc tissé là un intrigant essai, au style baroque et sombre, mais qui ne livre pas toutes ses promesses. Car malgré ses plans précis, ses belles images de Montréal la nuit et en dépit d’une interprétation irréprochable, Ville-Marie se nourrit du dilemme. La confrontation entre lustre factice et morne réalité favorise l’instabilité de l’ensemble. Comme un couple non fusionnel dans lequel on a du mal à trouver la cohérence, on cherche – en dehors d’une scène entre les deux femmes assises sur un banc de parc – à entrer dans leur douleur sans vraiment y parvenir.

Ville-Marie – Québec, 2015, 1h41 – une infirmière solitaire, deux ambulanciers, et le fils d’une comédienne française actuellement en tournage se retrouvent autour d’un événement tragique – Avec: Monica Bellucci, Pascale Bussières, Aliocha Schneider, Frédéric Gilles – Scénario: Guy Édoin, Jean-Simon DesRochers – Réalisation: Guy Édoin – Production: Max Films Média – Distribution: Filmoption International

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