Après Chloé Leriche (Avant les rues, 2016) et Geneviève Dulude-De Celles (Une colonie, 2018), Myriam Verreault propose à son tour une vision intimiste de la communauté autochtone québécoise. Le projet, marqué par un long processus de production, inclusif et respectueux, porte en lui une grande ambition : incarner de la manière la plus adéquate possible les Innus de la Côte-Nord. En ce sens, Kuessipan possède une valeur qui va au-delà de son statut d’œuvre cinématographique.
S’il nous est difficile de juger de la justesse de la représentation des Amérindiens, le récit nous interpelle malgré tout, en dehors de toute considération ethnique. Le portrait des deux adolescentes brossé par Myriam Verreault et sa coscénariste Naomi Fontaine a en effet une dimension universelle indéniable. Il est construit sur un schéma tout ce qu’il y a de classique dans lequel toutes les étapes du parcours d’apprentissage s’enchaînent chronologiquement, à l’exception du flashback d’ouverture qui ne nous a pas semblé nécessaire. Les joies et les épreuves traversées en commun depuis la plus tendre enfance, la trahison de celle qui veut partir étudier dans la grande ville, la confrontation avec celle qui souhaite rester sur la réserve, la rédemption finale qui vante les mérites de la maternité, et donc de la pérennisation de la culture, bref, tout arrive sans accroc ni fausse note. L’émotion affleure à plusieurs reprises, de manière organique et naturelle, tant dans les moments intimes entre Mikuan et Francis que dans les instants complices passés avec son frère.
Hélas, le scénario, réfléchi jusque dans ses moindres détails, ne procure guère de surprise et tend à se fondre dans la masse des productions adolescentes québécoises vues depuis quelques années. De fait, Kuessipan ne retrouve pas la spontanéité qui caractérisait À l’ouest de Pluton, premier long métrage de la cinéaste (coréalisé avec Henry Bernadet). L’ensemble paraît un peu statique, voire hésitant et génère quelques petites longueurs. L’accumulation des drames montrés ou à peine évoqués (le désoeuvrement, l’alcool, la violence conjugale, le deuil) ne plaide pas en faveur de la légèreté. En résulte un film qui a parfois des allures un peu démonstratives. Quelques élans poétiques viennent briser le cercle infernal, mais passent surtout par les mots, lus en voix hors champ. Pas suffisamment par les images. En dehors de quelques beaux plans extérieurs (Mikuan et Francis sous les pylônes d’Hydro-Québec, notamment), la mise en scène manque de souffle et de lyrisme. Soulignons cependant une judicieuse utilisation des espaces fermés, renforçant le côté étroit de la communauté dans les yeux de Mikuan.
Au niveau du traitement, sensibilité et délicatesse sont de rigueur. Et ce, à tous les niveaux. Dans les contours des protagonistes, dans un filmage aux accents véristes, ainsi que dans le désir permanent de coller au plus près des rituels qui marquent le quotidien d’une famille. Toutefois, entre la vie compliquée de Shaniss et la volonté d’émancipation de sa copine Mikuan, l’illustration des variations de condition sociale parait parfois manichéenne.
Sur le plan de l’interprétation, enfin, saluons la direction d’acteurs de Myriam Verreault et Brigitte Poupart, qui ont su tirer le meilleur de comédiens non professionnels. Dans la peau de deux jeunes personnes aux quêtes radicalement opposées, Yamie Grégoire et Sharon Fontaine-Ishpatao s’avèrent très justes, sauf peut-être lors d’une scène un peu forcée dans la maison d’accueil pour femmes en difficulté. Même son de cloche pour tous les membres de la communauté innue, tous très à l’aide dans des rôles secondaires, plus limités cependant. Retrouvant le naturel que l’on avait beaucoup apprécié dans Prank, Étienne Galloy, incarne avec délicatesse un Blanc dépassé par ce qui lui arrive.
Avec Kuessipan, Myriam Verreault livre une proposition aussi sincère que touchante qui plaide en faveur de la cause autochtone. Bien que ce second long métrage semble parfois prisonnier de ses intentions rassembleuses, il s’offre, à l’instar des films de Chloé Leriche et Geneviève Dulude-De Celles, comme un geste important dans l’abaissement des barrières entre Blancs et Premières Nations.
Kuessipan – Québec, 2019, 1h57 – Dans la réserve innue de Uashat-Maliotenam, deux amies d’enfance voient leur chemin se séparer alors qu’elles atteignent l’âge adulte – Avec: Yamie Grégoire, Sharon Fontaine-Ishpatao, Étienne Galloy – Scénario: Myriam Verreault, Naomi Fontaine – Réalisation: Myriam Verreault – Production: Max Films Media – Distribution: Filmoption International
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