Kid Sentiment – Film de Jacques Godbout

Repère sociologique important sur une certaine jeunesse québécoise des années soixante. Deuxième long métrage de fiction du réalisateur de YUL-871 et IXE-13.

https://www.filmsquebec.com/wp-content/uploads/kid-sentiment_affichejpg.jpg
Image publicitaire pour le film Kid Sentiment (les quatre jeunes et leur mobylette)
Image publicitaire pour le film Kid Sentiment (Copyright ONF)

Les années 1960, au Québec comme partout en Occident, ont apporté leur lot de mutations profondes au sein de la société civile et de la sphère politique. Reflet de certains des changements de cette période cruciale de l’histoire de la Province, le film Kid Sentiment de Jacques Godbout n’a jamais acquis le statut d’œuvre marquante du cinéma québécois, mais n’en reste pas moins un repère sociologique important.

En mettant en vedette la jeunesse à gogo, plutôt riche, émancipée et forte en gueule, ce deuxième long métrage de fiction du cinéaste illustre autant les préoccupations de ces jeunes affranchis, bien résolus à ne pas suivre les chemins balisés par la société, que leur approche des sentiments amoureux. En outre, cette « désopilante comédie sur l’amour à l’âge psychédélique », comme la vantait l’ONF dans ses documents de presse, fut l’une des premières Å“uvres de fiction au Québec à montrer des femmes revendiquant une certaine liberté sexuelle, qui, jusque-là, était réservée aux hommes.

Moins rigide que YUL-871, précédent film de Godbout, Kid Sentiment repose sur une histoire plutôt banale. À Québec, deux gars draguent deux filles et les emmènent chez l’un d’eux pour passer la nuit ensemble. S’en suit une longue séance de discussions anecdotiques, de vagues tentatives de rapprochement, montrant autant l’incertitude de la première fois que le machisme d’apparat de gars et cachant mal l’hésitation des filles face à une situation inédite et intimidante. La particularité de Kid Sentiment, et ce qui à mes yeux lui apporte toute sa valeur cinquante ans plus tard, c’est l’insertion à mi-parcours d’une longue entrevue style documentaire. Le cinéaste qui sent que son film ne va nulle part, n’hésite pas interrompre le cours de son récit et confronte les quatre jeunes. Ils se livrent à la caméra. Ce passage visiblement improvisé laisse ensuite la place à une reprise de l’action fictionnelle, jusqu’à un dénouement aussi drôle que touchant, tout en restant dans les limites du très politiquement correct.

Après de longues recherches, Godbout choisit Louis Parizeau et François Guy (on notera au passage sa ressemblance frappante avec John Lennon), respectivement batteur et premier soliste du populaire groupe « Les Sinners » pour incarner ces dons Juans. Face à eux, deux jeunes comédiennes que l’on reverra par la suite dans quelques fictions canadiennes mineures: Andrée Cousineau et Michèle Mercure, fille de l’actrice Monique Mercure. Tous les quatre en étaient à leurs débuts au grand écran.

Kid Sentiment fut lancé en grande pompe le 29 mars 1968 avec un concert des Sinners donné devant le cinéma Elysée. Généralement bien accueilli par la critique, le film connut une belle carrière en salle et a été présenté au marché du film de Cannes en mai 1969.

Le groupe de jeunes du film Kid Sentiment de Jacques Godbout (les quatre sont réunis sur le lit, lors de la scène finale du film)
Le groupe de jeunes du film Kid Sentiment de Jacques Godbout (image extraite du film – Collection filmsquebec.com – Reproduction interdite sans autorisation)

Critiques d’époque

Du cinéma-vérité? Oui, mais pas de la vérité-cinéma comme il arrive trop souvent. Parce que partant lui aussi d’idées préconçues, et d’une “mise en situation », le principe même de ce cinéma est mis en cause (contesté) par l’auteur et les interprètes, au beau milieu du film, et qu’on a eu l’idée géniale de garder cette scène, d’en faire la scène-clé du film. Cet extraordinaire dialogue entre l’auteur et les interprètes donne son sens à tout le reste. (Michèle Favreau, La Presse, 30 mars 1968, p.37)


La film de Godbout arrive vraiment à établir le personnage-type des jeunes de 16-18 an». Avec son impuissance, sa peur, son masque. Et sa tendresse. Cette tendresse qui ne trouve pas son mot ni son geste ailleurs que dans un pré-langage et au bout du doigt : « bip-bip » sur le nez de sa conquête. Un film a voir par tous: éducateure, jeunesse go-go et cinéphiles. Un lucide Godbout. Une tendre jeunesse. (Jean Royer, L’Action – Quotidien catholique, 7 septembre 1968, p.11)


Il est injuste, à mon sens, d’établir, comme certains critiques l’ont fait d’autorité, un parallèle Godbout-Godard ou Godbout-Rouch. Le réalisateur n’a rien d’un sociologue (son échantillonnage est heureux mais discutable) et ne rejoint que par le détour l’ethnologie (le film ne se veut pas un documentaire scientifique). C’est autre chose qu’un reportage puisqu’on ne rend pas compte d’un fait fini. C’est autre chose… (Claude Daigneault, Le Soleil, 7 septembre 1968, p.34)

Résumé

À Québec, sur la Terrasse du Château Frontenac, François et Louis rencontrent Andrée et Michèle. Ils sont "in", elles sont jolies comme des coeurs. Ils sont habillés en dandys à la mode, elles portent le dernier chic parisien. Les premières approches terminées, nos quatre jeunes dans le vent décident d'aller plus loin. Ils sont pris en charge par un conducteur patibulaire et se retrouvent dans la maison familiale de l'un d'eux. Les parents sont partis pour quelque temps, autant en profiter... La fin de soirée leur réserve néanmoins quelques surprises.

©Charles-Henri Ramond

Distribution

Andrée Cousineau (Andrée), François Guy (François), Michèle Mercure (Michèle), Louis Parizeau (Louis), Jacques Languirand (le chauffeur), François Jasmin et la voix d'Andrée Belleau

Fiche technique

Genre: chronique, docufiction - Origine: Québec, 1968 - Durée: 1h27 - Langue V.O.: Français - Images: 16mm, N&B, format 4:3 - Visa: 13 ans et plus - Première: xxx - Sortie en salles: 29 mars 1968 sur un écran à Montréal (Cinéma Élysée) - Tournage: durant 24 jours du 15 août au 23 septembre 1967, à Montréal et Québec - Coût approximatif: 77 000 dollars

Réalisation: Jacques Godbout - Scénario: Ghislaine Godbout, Jacques Godbout - Production: Clément Perron - Société de production: Office national du film du Canada - Distribution: Office national du film du Canada

Équipe technique - Mixage: Michel Descombes - Montage images: Jacques Godbout – Musique et chansons: Les Sinners - Direction musicale: Pierre Nolès - Photographie: Thomas Vamos - Prise de son: Claude Hazanavicius

Infos DVD/VOD

Kid Sentiment est disponible en VOD sur Illico et iTunes et sur le site de l'ONF : https://www.onf.ca/film/kid_sentiment/

Qui sommes-nous ?

Né en décembre 2008, Films du Québec est un site d'information indépendant, entièrement dédié au cinéma québécois de fiction. Films du Québec contient les fiches détaillées des films québécois, des actualités, des critiques et des bandes annonces et bien plus.
Création et administration : Charles-Henri Ramond, membre de l'Association québécoise des critiques de cinéma.

Catégories

Archives