Moins de deux ans après le succès remporté par The Brood, David Cronenberg fait de nouveau équipe avec le producteur Claude Héroux pour Scanners, sans doute le drame de science-fiction le plus reconnu de sa carrière québécoise débutée dix ans plus tôt. Septième long métrage de Cronenberg, le film relate l’histoire d’une traque mortelle entre deux « scanners » dotés de pouvoirs surnaturels. Affirmation des dérives technologiques et domination de ses semblables par les pouvoirs de la pensée sont des thèmes qui apparaissent ici comme des signes annonciateurs de la suite de l’oeuvre de Cronenberg.
Produit au Québec avec des moyens considérables pour l’époque, Scanners est l’un des films les plus importants de son genre qui a propulsé d’un seul coup la carrière internationale du maître canadien du fantastique.
Contexte
Outre le producteur, Cronenberg a également fait appel à deux collaborateurs habituels, Mark Irwin à la photographie et Ronald Sanders au montage. Une complicité qui révèle ici toute son efficacité. Projet ambitieux aux fortes prétentions internationales, Scanners fut produit avec un budget de 4,5 millions de dollars et un tournage de neuf semaines. « Ce sera le film le plus impressionnant jamais produit au Canada. Nous avons retenu les services de six des meilleurs spécialistes en effets spéciaux au Canada et aux États-Unis. Nous aurons des séquences d’action extraordinaires et très excitantes. » disait Pierre David, président de Filmplan et producteur exécutif lors du tournage [1]. Il s’agissait à l’époque du film le plus cher de David Cronenberg.
D’abord distribué aux USA par Avco Embassy Pictures (avec le classement « R »), Scanners fit sensation dès sa première à New York le 14 janvier 1981. Cette « plus grosse ouverture de toute l’histoire du distributeur » selon Pierre Brousscau, adjoint de Pierre David [2], mena le film vers un succès commercial qui fut tel qu’il propulsa son auteur sur la scène internationale. Au Québec, le film est sorti deux mois après les États-Unis et est resté plusieurs mois à l’affiche dans les cinémas de Montréal.
Présentation
10 secondes: la douleur commence
15 secondes: vous ne respirez plus
20 secondes: vous explosez
Sur un scénario entremêlant les codes propres à différents genres (thriller psychologique, polar classique, science-fiction), Scanners s’articule autour de plusieurs moments forts constitués d’effets spéciaux remarquables pour l’époque. Le premier d’entre eux est l’explosion de la tête d’un membre d’une société gouvernementale, à droite de l’image, présentant une conférence sur les pouvoirs du « scanning ». Un quidam renverse la puissance du scientifique jusqu’à lui faire exploser la tête. Il sera arrêté et on découvrira plus tard son identité. Au-delà de sa prouesse technique, cette scène devenue mythique est un pivot puisqu’elle marque la révélation du « méchant » (Michael Ironside dans le rôle de Darryl Revok), qui devient l’ennemi numéro un et donc le centre de la poursuite à venir.
Cameron Vale est incarné par l’acteur montréalais Stephen Lack, dont ce fut le seul rôle important en carrière bien qu’il ait été nommé aux Genie Awards pour son scénario de The Rubber Gun en 1975. Vale est un scanner qui s’ignore. Repéré par le gouvernement, il a été reprogrammé par le docteur Ruth (Patrick McGoohan) et va chercher à en savoir plus sur Revok et sa bande. Il a lui aussi des pouvoirs exceptionnels, comme celui de faire exploser une salle d’ordinateurs par le biais d’une simple ligne téléphonique. Il trouvera en Kim Obrist (Jennifer O’Neill), une alliée naturelle dans sa quête pour contrer le mal. Elle fait partie d’un groupe d’opposants à Revok. « Tous ensemble groupons nos forces. Une seule âme, un seul esprit, puissance fantastique indestructible… » Les alliés de Revok mettent le feu au repère et tuent les opposants.
Ne reste donc plus que Vale et Kim. Le film se dirige donc vers un mano à mano entre Vale et Revok. Pourtant, il ne délaisse pas les aspects psychologiques de son histoire, à la fois en présentant les troubles psychologiques d’un héros oppressé par ses « voix intérieures », et en précisant l’aspect destructeur d’une technologie au service d’intérêts privés. L’Éphémérol, la terrible formule injectée aux femmes enceintes, est conçue par la compagnie Biocarbon Amalgamate, dirigée par Revok. Vale découvrira que le gouvernement est complice, par l’entremise du traitre Keller, un cadre de la ConSec. Sur le tard, Ruth remet en cause l’entièreté du programme d’état, jugé cruel.
Le thème de la recherche scientifique sera aussi le coeur du film de quelques films québécois des années 80, dont Dans le ventre du dragon d’Yves Simoneau (1985) et Portion d’éternité de Robert Favreau (1989). Son tourment, annonciateur d’une finale explosive, augmente alors qu’il se rapproche de plus en plus de la cible. Au passage, Cronenberg se paye le luxe d’un clin-d’oeil décalé en donnant le rôle d’artiste à l’un de ses protagonistes et en faisant de l’art un moyen de se sortir de la tourmente. Un décalage original que Cronenberg avait déjà installé au début du film en faisant passer son héros Cameron Vale du statut de pauvre type en haillons à sauveur de la nation.
Après avoir fait exploser le centre d’opération de la Biocarbon, ainsi qu’une station essence, la table est mise pour le combat final, une scène également devenue culte dans laquelle on apprend le que l’Éphémérol est en fait une dérive d’un produit chimique conçu à l’origine pour aider les femmes enceintes lors de la grossesse. Le lien qui unit Vale et Revok sera aussi dévoilé. L’affrontement fait l’utilisation de plusieurs effets spéciaux et de maquillages très réussis. Michael Ironside dans le rôle de Revok y est inoubliable.
La scène finale nous fait voir Kim, trouvant un corps calciné au sol. C’est celui de Vale. Le mal à triomphé. Constat amer pour Cronenberg qui laisse le champs libre au contrôle des sociétés par le biais de la technologie. Des dérives au potentiel dévastateur ne sont pas à exclure.
De nos jours
Devenu film culte, Scanners est l’une des productions québécoises les plus étudiées par les fans, spécialistes ou autres professeurs de cinéma du monde entier. Le film a bénéficié d’une restauration 2K et d’une réédition en version Blu-ray et DVD dans la collection Criterion.
Deux suites médiocres produites au Québec par Malofilm furent réalisées par Christian Duguay en 1991 et 1992. Elles n’urent ni le succès critique ni le support des fans que l’original avait suscités.
[1] La Presse, 2 novembre 1979 – [2] La Presse, 16 janvier 1981
Les images ci-dessus, usées jusqu’à la corde, sont extraites de ma vieille VHS originale.
Résumé
Après avoir transmis des ondes paralysantes à une cliente d'un centre commercial, Cameron Vale est interné et confié aux soins du professeur Ruth, qui lui révèle ses extraordinaires pouvoirs de "scanner". Dotés de forces télépathiques prodigieuses, les scanners sont des médiums aux pouvoirs surnaturels, capables de détruire tout objet à distance sous le simple effet de la pensée.
Au même moment, dans les locaux de l'agence gouvernementale ConSec, une expérience se termine dans une explosion de sang et de chairs. Le scanner s'est fait détruire par Darryl Revok, un rival scanner qui se trouvait dans l'assistance. Revok, membre d'un groupe de scanners désireux de s'emparer du pouvoir, est arrêté, mais parvient sans trop de problèmes à s'enfuir.
Cameron est alors enrôlé par la ConSec pour retrouver Revok et ses acolytes. Il sera aidé par Kim, une jeune activiste qui lutte contre les velléités maléfiques des scanners. La traque de Cameron aboutira à un affrontement mortel contre Revok, après que ce dernier lui a révélé un lourd secret.
©Charles-Henri Ramond
Distribution
Stephen Lack (Cameron Vale) ; Jennifer O'Neill (Kim Obrist) ; Patrick McGoohan (Dr. Ruth) ; Lawrence Dane (Breadon Keller) ; Charles Shamata (Tony) ; Adam Ludwig (Arno Crostic) ; Michael Ironside (Darryl Revok) ; Victor Désy (Dr. Gatineau) ; Mavor Moore (Trevellyan) ; Robert Silverman (Benjamin Pierce) ; Louis Del Grande (scanner) ; Lee Broker (security) ; Terry Coady (security man) ; Steve Michaels (security man) ; Malcolm Nelthorpe (escort car driver) ; Don Buchsbaum (joueur de squash 1) ; Dave Patrick (joueur de squash 2) ; Neil Affleck (medical student) ; Babs Gadbois (femme d'âge moyen) ; Griff Brewer (elderly man) ; Karen Fullerton (pregnant girl) ; Victor Knight (Dr. Frane) ; Lee Murray (programmer) ; Fred Doederlein (Dieter Tautz) ; Geza Kovacs (scanner) ; Sony Forbes (invader) ; Jérome Tiberghien (invader) ; Denis Lacroix (invader) ; Elizabeth Mudry (invader) ; Anthony Sherwood (scanner) ; Ken Umland (scanner) ; Anne Anglin (scanner) ; Jock Brandis (scanner) ; Jack Messinger (Jack) ; Nicholas Kilbertus (escort car partner) ; Roland Nincheri (man in subway) ; Kimberly McKeever (security) ; Robert Boyd (security guard) ; Graham Batchelor (Courtney) ; Dean Hagopian (programmer) ; Alex Stevens (programmer) ; Robert Parson (security) ; Sam Stone (security) ; Barry Kozak (security) ; Michael Dubois (waiter) ; Lillian Horowitz (passerby) ; Jim Kaufman (scanner N.D) ; Tom Kovacs (boy friend) ; Jorma Lindqvist (security) ; William Spears (technician) ; Harriet Stein (woman's friend) ; Paul Stewart (security guard)
Fiche technique
Genre: drame de science-fiction - Origine: Corpoduction Québec-Canada, 1980 - Durée: 1h43 - Images: 35mm, couleurs, format 1,78:1 - Langue V.O.: Anglais - Visa: 13 ans et plus (sept. 2006) - Sortie en salles: 16 janvier 1981 (USA), 27 mars 1981 dans deux salles à Montréal (Plaza Alexis Nihon et Square Décarie) - Tournage: 9 semaines à compter du 29 octobre 1979 à Montréal - Budget approximatif: 4,5 M$
Réalisation: David Cronenberg - Scénario: David Cronenberg - Production: Claude Héroux - Producteurs exécutifs: Pierre David, Victor Solnicki - Société de production: Filmplan International avec la collaboration de la Société de développement de l'industrie cinématographique canadienne (SDICC) - Distribution: Les Films Mutuels
Équipe technique - Assistant réalisation: Jim Kaufman - Costumes: Delphine White - Direction artistique: Carol Spier - Effets spéciaux: Gary Zeller, Dennis Pike - Maquillages spéciaux: Stephan Dupuis, Chris Walas, consultant: Dick Smith - Montage images: Ronald Sanders – Musique: Howard Shore - Photographie: Mark Irwin - Prise de son: Don Cohen
Infos DVD/VOD
Scanners est disponible en Blu-ray et DVD en plusieurs éditions, dont une version remasterisée disponible dans la prestigieuse collection Critierion (2 disques contenant de nombreux suppléments).