C’est sur un fil ténu qu’évolue Isla Blanca, tendre histoire de réappropriation que Jeanne Leblanc porte en elle depuis plusieurs années. Mathilde débarque à l’improviste chez ses parents alors qu’elle n’a plus donné signe de vie depuis des années. Timidement, elle se réapproprie les lieux, erre dans la maison, retrouve sa chambre et ses affaires, intouchées depuis son départ. Sa fuite se terminera-t-elle ici? C’est en substance ce que les images et les silences font ressortir des hésitations de la jeune femme visiblement troublée. L’occasion pour Jeanne Leblanc de démontrer sa grande maîtrise de l’esthétique dans des plans aux cadrages millimétrés desquels transparaissent toute la fragilité et l’instabilité émotionnelle de son protagoniste.
Fil ténu disions-nous, surtout dans une première partie, marquée par un rythme lent qui se révèle en parfaite harmonie avec l’étrangeté de la situation. Le tout semble naturel, organique. Une impression également palpable dans les confrontations entre Mathilde et Émile, son frère. Les dialogues portent en eux ce qu’il faut de réalisme, notamment dans deux scènes charnières qui créent deux points pivots du récit. L’une, houleuse et balbutiante dans laquelle il la secoue alors qu’elle est sur le point de partir, et l’autre, plus tendre, tandis qu’ils partageant des souvenirs en apparence anodins. Même maladroits ou superficiels, ces quelques mots servent de liant dans l’évolution des relations. Ils sont d’autant plus signifiants qu’ils sont rares, leur résonnance nous ayant paru plus importante que dans bien des films similaires.
Cependant, malgré sa sincérité et ses qualités formelles, la proposition reste empreinte d’une grande fragilité qui devrait en déstabiliser plus d’un. Elle n’explique rien des raisons qui motivent la jeune femme à faire ce « come-back » inattendu et laisse le soin à quelques images de la fuite, elle aussi en suspens, de faire naître chez le spectateur le début d’une autre histoire. Leblanc applique la même démarche en évoquant le rapport avec la mère lors de très belles évocations de vacances heureuses dans le Sud. Brièvement, on entrevoit la tendresse d’une famille soudée, donnant lieu à encore plus de questionnements sur ce qui s’est réellement passé. Là encore, la cinéaste sait doser l’importance du flashback pour mieux l’insérer dans le présent.
Finement ciselé, le scénario est porté par le talent de Charlotte Aubin et Théodore Pellerin, deux comédiens déjà bien établis et dont on n’a pas fini d’entendre parler. Leur complémentarité est évidente et leur complicité avec l’auteure donne un résultat plus que convaincant. Comme souvent dans des productions aux budgets limités, c’est surtout sur la grâce de l’interprétation que repose l’adhésion. Ici, force est de constater qu’ils s’en sortent à merveille. On a eu récemment comme exemple de ce type les Tadoussac de Martin Laroche et Les faux tatouages de Pascal Plante, qui nous avaient laissé exactement la même impression. À l’instar de ces deux films, Isla Blanca, se permet le luxe d’être une œuvre ambitieuse malgré toute la délicatesse de sa proposition.
Note : 3 / 5