Cette semaine, Robert Lepage (La face cachée de la lune) et Anaïs Barbeau-Lavalette (Inch’Allah) vous proposent deux formes d’évasions réflexives en vous transportant dans des espaces troublés, hantés par nos angoisses, dans lesquels l’inaliénable besoin d’aimer malgré tout fait plus que force et que rage. Dans l’espace intersidéral ou en Cisjordanie, le rêve et la poésie abattent les murs et les craintes.
Pour sa part, c’est à une autre forme d’évasion – tout aussi libérante – que Luc Bourdon vous convie avec La mémoire des anges, impressionnant travail de recherches et de collage d’archives cinématographiques de l’ONF, qui nous replonge le temps d’un film dans le Montréal oublié des années 60. À ne pas manquer sur Planète+ Canada.
À noter aussi, la première diffusion sur Unis TV de FM Youth, un long métrage franco-manitobain qui avait été présenté aux Rendez-vous du cinéma québécois en février 2015, mais qui ne s’est jamais rendu jusque dans les salles de cinéma. À découvrir donc, pour voir de quoi à l’air cette production indépendante filmée à Saint-Boniface, le quartier francophone de Winnipeg.
Bonne semaine de cinéma québécois!
Lundi
La face cachée de la lune
✰✰✰✰ – Après le suicide de leur mère, deux frères ennemis se voient dans l’obligation de reprendre contact – Comédie dramatique de Robert Lepage (2003) avec Robert Lepage, Marco Poulin, Anne-Marie Cadieux – TFO, lun. 25 jan. à 21h
Au départ de cette œuvre, il y avait un projet avec Buzz Aldrin, le deuxième astronaute à avoir marché sur la Lune. La trame s’est transformée en une pièce de théâtre dans un seul lieu où un seul acteur, Robert Lepage, interprétait tous les personnages et où de simples objets évoquaient divers moments. Lepage ose garder la théâtralité de certaines séquences comme la scène vers la fin dans l’appartement mais il utilise les possibilités du cinéma pour casser le quatrième mur et ainsi lier physiquement deux événements. Lepage a cet art, cette faculté de redonner la poésie aux objets les plus banals et à atteindre à plusieurs moments le sublime comme dans cet appel senti à la poésie et de cette manière à une évocation de sa mère, par l’emploi remarquable d’un poème de Nelligan monté sur des images alternées de cette femme jeune puis vieille, hier protectrice, aujourd’hui malade. – Luc Chaput, Séquences : la revue de cinéma, n° 228, 2003, p. 46.
Mercredi
La mémoire des anges
✰✰✰½ – DOC – assemblage d’archives et d’extraits tirés de films de l’ONF présentant un portrait collectif immergé dans le Montréal des années 50 et 60 – Réal. Luc Bourdon (2008) – Planète+ Canada – mer. 27 jan. à 09h (et ven. 29 jan. à 17h30 | sam. 30 jan. à 18h30)
Présenté par l’ONF comme un « portrait impressionniste du Montréal des années 1950 et 1960 », le film est aussi, et peut-être même avant tout, une passionnante célébration du cinéma. Sans commentaire ni carton informatif, La mémoire des anges, par la grâce d’un montage aussi juste que virtuose, nous emporte dès ses premiers plans dans une sorte de voyage onirique au pays de Montréal. Ville portuaire, ville ferroviaire, ville ouvrière, ville de neige et de chansons, cette ville-pays, évoquée sans aucune nostalgie, revit pour nous dans un présent intemporel où noir et blanc et couleur (magnifiques couleurs criardes de la pellicule Kodak des années 1950) se croisent harmonieusement à l’intérieur d’une même séquence. – Robert Daudelin, 24 images, n° 139, 2008, p. 61.
Samedi
Inch’Allah
✰✰✰½ – Une Québécoise travaille dans une clinique de fortune en Cisjordanie. Elle y fait la connaissance d’une jeune israélienne avec qui elle se lie d’amitié – Drame d’Anaïs Barbeau-Lavalette (2012) avec Evelyne Brochu, Sabrina Ouazani et Sivan Levy – ARTV, sam. 30 jan. à 13h04 (et mer. 3 fév. à 9h04)
Visuellement, le film est à l’image de son héroïne, c’est-à-dire âpre et nerveux. La caméra, souvent à l’épaule, colle au plus près des personnages. Elle n’hésite pas à scruter en extrême gros plan des parties du corps, les mains, les lèvres, les yeux. Cette esthétique de l’urgence s’adoucit lorsque Barbeau-Lavalette s’attarde à suivre Safi, le frère cadet de Rand. Le petit garçon, délicat et rêveur, se promène dans la décharge déguisé en Superman : il en découle des images quasi surréalistes, d’une grande poésie lumineuse. L’enfance, une récurrence incontournable dans l’œuvre d’Anaïs Barbeau-Lavalette! C’est aussi dans la mort d’un enfant que l’engagement personnel de Chloé s’épanouira. Car si le récit d’Inch’Allah prend naissance dans un conflit insoluble, il ne met en cause ni les politiques, ni les dirigeants. Il reste constamment au niveau de l’humain et c’est l’une de ses plus grandes forces. Les faits sont là, indiscutables, affirmés. Le mur est là. Mais tout autour, les gens demeurent. Et c’est bien en eux que réside l’espoir. – Zoé Protat, Ciné-Bulles, vol. 30, n° 4, 2012, p. 32-33.