Bilan cinéma québécois 2011

Nouveau record de sorties québécoises en 2011 avec pas moins de 36 films, soit le double d’il y a dix ans.

Émilien Néron et Sophie Nélisse dans Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau

Émilien Néron et Sophie Nélisse dans Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau

C’est une tendance qui se confirme depuis plusieurs années déjà. Le cinéma québécois produit beaucoup pour la taille de son marché. En 2011, pas moins de 36 long-métrages québécois de fiction auront pris l’affiche sur les écrans de la Province. 36 films de fiction, c’est trois de plus que l’an dernier et cinq de plus qu’en 2009 [1]. C’est aussi – et surtout – le double d’il y a dix ans.

Dans cet article, je vous propose d’examiner quelques faits saillants qui ont marqué notre cinéma en 2011, faits analysés par mon regard de simple cinéphile, donc naïf et partiellement au courant
des rouages de la profession. N’hésitez pas à me contacter pour toute demande ou remarque.

36 chandelles

Pour une troisième année de suite on assiste donc à une augmentation de la quantité de films disponibles sur nos écrans. Or cette augmentation est avant tout le fait des productions aux budgets
et aux visées commerciales modestes, autrement nommé faute de mieux “cinéma d’auteur”.

En 2011, la moitié des 36 long-métrages peut être rangée dans cette catégorie à la fois bien réelle et fictive. L’autre moitié était composée de films aux aspirations et aux budgets plus
importants et aux visées essentiellement commerciales. Si ce pourcentage de films d’auteurs est comparable à l’an dernier, il est toutefois bien supérieur à celui de 2009 et de 2008, alors que ce
type de production ne représentait qu’un tiers de la production québécoise totale. Le cinéma québécois est donc de plus en plus riche en diversité, essentiellement grâce à son cinéma d’auteur.
D’un point de vue cinématographique, on peut (on doit) se réjouir d’une telle situation ; d’un point de vue comptable, c’est une autre histoire, nous y reviendrons plus loin.

2011 a également été marquée par un léger resserrement dans l’étendue des thématiques abordées par nos auteurs. Les drames et drames psychologiques constituent depuis plusieurs années le lot du cinéma d’auteur québécois. Cette année n’a pas dérogé à la règle [2] avec la présentation de plusieurs excellents films personnels, visions dramatiques intimes de leurs cinéastes sur leur
environnement et leur génération. Du côté de notre cinéma commercial, les drames et comédies dramatiques ont été largement présents, suivis par les films d’action et de suspense, les traditionnelles comédies, et un drame biographique [3].

Le Vendeur de Sébastien Pilote (Gilbert Sicotte)

Gilbert Sicotte et Nathalie Cavezzali, étincelants dans Le vendeur – © Films Séville

Nouveaux visages

Le tiers des films québécois distribués l’an dernier ont été des premiers long-métrages pour leur réalisateur. Cette proportion est supérieure à celle des années précédentes et se retrouve à des années lumières devant ce qui se faisait il y a dix ans. Facilité de tourner, sujets abondants, envie irrépressible de s’exprimer, institutions de financement généreuses sont quelques-unes des raisons qui peuvent expliquer ce taux important de premiers films. Il faudra sans doute attendre un peu avant d’y voir une tendance, mais force est de constater que 2011 aura été l’année des jeunes cinéastes.

Dans le lot abondant, on note la force et la beauté de films tels que Nuit #1 (Anne Émond), Le vendeur (Sébastien Pilote) et
Marécages (Guy Édoin). Des premiers essais très prometteurs.

Un niveau de qualité plutôt inégal

En termes de qualité, la production québécoise de 2011 a été très inégale et se divise en deux catégories à peu près égales. D’un côté les films de bonne qualité, de l’autre les p’tites vues très vite oubliées. Un constat confirmé par la moyenne des notes que vous avez attribuées aux films sur ce blogue, à peine supérieure à celle des films de 2010 (+4%) et par un rapide survol de mes notes accordées aux films lors de leur visionnement ou de celles établies par l’organisme Médiafilm [4].

Comme à l’accoutumée, les satisfactions ont essentiellement été du côté du cinéma d’auteur avec des films comme Le vendeur, Marécages, Jo pour Jonathan, En terrains connus ou Nuit #1 qui, chacun à sa manière, a aidé à préciser les contours d’une cinématographie qui ne cesse de se chercher. Le cinéma commercial a eu quant à lui plus de peine à tirer son épingle du jeu. En dehors de rares films comme Café de Flore, Monsieur Lazhar ou Starbuck qui ont confirmé le savoir-faire de leur réalisateur tout en offrant un divertissement de qualité, bien peu sont parvenus à attirer les foules.

Les réussites commerciales restent limitées

En ce qui concerne les recettes, force est de constater que malgré l’augmentation notable de la production et la diversité des genres toujours très forte, les succès en salle restent stables depuis plusieurs années et sont limités à quelques unités. Une fois de plus, 2011 confirme l’évidence : l’augmentation de l’offre ne rime pas systématiquement avec augmentation des succès et si
l’on produit plus de films, on ne produit pas forcément plus de succès.

Au total, en 2011 six productions québécoises ont dépassé la barre du million de dollars de recettes brutes [4]. Ils étaient sept l’an dernier et six en 2009. Starbuck et Le sens de l’humour dominent largement le box office, avec plus du double d’entrées que le décevant Gerry qui n’a pas atteint ce que son sujet laissait croire. Monsieur Lazhar et Café de flore complètent de belle façon le top cinq de l’année. Le sixième millionnaire est Funkytown, qui a déçu lui aussi quant à ses résultats, en partie plombés par un bouche-à-oreille très ordinaire.

François Papineau dans Une vie qui commence de Michel Monty

François Papineau dans Une vie qui commence de Michel Monty

Si quelques-uns ont relativement bien réussi, d’autres ont complètement raté leur cible. Citons par exemple les résultats presque incompréhensibles de films tels que Une vie qui commence de Michel Monty (15 salles à sa sortie et moins de 10 000 entrées pour un budget de 4 millions $) qui avait pourtant un sujet très classique ; Good neighbours de Jacob Tierney (12 salles à sa sortie et moins de 2 500 spectateurs pour un budget de plus de 5 millions) et que dire de French Immersion, premier film réalisé par Kevin Tierney disposant de 40 salles à sa sortie mais n’attirant qu’un minuscule 10 000 spectateurs pour un budget de plus de 6 millions.

Mais ce qui est vraiment notable en 2011 à mes yeux, c’est l’énorme proportion de films aux cheminements confidentiels. En 2011, pas moins de 14 films sur 36 obtiennent des recettes brutes inférieures à 50 000 dollars (contre 9 en 2010 et 12 en 2009), soit près de 40% du total. Ce chiffre énorme ne change pas lorsque l’on regarde le tableau des entrées en salles. Sur les 36 films :

  • 7 attirent moins de 1 000 spectateurs (19% du total)
  • 14 attirent moins de 5 000 spectateurs (38%)
  • 20 attirent moins de 10 000 spectateurs (55%)

Si ces chiffres ne surprennent pas, ils ramènent à la surface, une fois de plus, le constat inquiétant de l’incapacité de notre cinématographie d’augmenter son public. Le fait d’être québécois n’est pas un à-priori favorable donc, et ce, malgré les nombreuses manchettes de journaux, les innombrables articles publiés sur le web – jusqu’à la nausée – pour souligner tel ou tel tournage, sortie, prix dans un festival, entrevue, j’en passe et bien d’autres. Si l’on mesurait le succès à la quantité de colonnes disponibles à la une, le cinéma québécois roulerait sur l’or. Les spectateurs, eux, donnent un son de cloche bien différent.

Alors que 50% du cinéma québécois est un cinéma d’auteur plutôt sombre et visible dans très peu de salles [5], il n’est pas étonnant d’obtenir les résultats énoncés plus haut. Et si l’on ajoute certains préjugés envers le cinéma québécois qui font encore des ravages dans l’auditoire, on obtient des parts de marché qui se situent péniblement aux alentours de 10% en 2011. Cela représente une très légère amélioration par rapport à 2010.

Nombre de spectateurs et parts de marché des films québécois
Année Entrées en salles (n) Part de marché (%)
2006 2 893 000 11,4 a)
2007 2 551 000 10,2
2008 2 150 000 8,9
2009 3 256 000 12,2 b)
2010 2 320 000 9
2011 2 150 000 est. 10,2 c)

a) Bon cop bad cop ± 50% du total – b) De père en flic ± 40% du total – c) à fin octobre

On pourrait peut-être se satisfaire de ce résultat, mais, avec une production qui augmente et des spectateurs qui diminuent, on peut se poser des questions (encore…) sur la viabilité du système.

En résumé

L’année cinématographique québécoise qui vient de s’achever aura été une année de temps forts et de déceptions, comme à l’habitude. Très inégale en terme de qualité, 2011 se révèle un cru assez terne. En terme de quantité par contre, 2011 aura battu le record de films projetés en salles, avec un total de 36 films.

Malgré cette augmentation, la quantité de films à succès reste stable depuis plusieurs années puisque seuls six films parviennent à dépasser la barre du million de dollars de recettes brutes. Il ne faut toutefois pas oublier que, l’an dernier plus que jamais, notre cinématographie fourmillait de films d’auteurs, pour la plupart inconnus en dehors de quelques grands centres urbains de la Province.

Même si l’année 2012 semble être un peu moins achalandée que 2011, on peut supposer que les défis qui attendent les décideurs et professionnels du cinéma québécois ne vont pas en décroissant. Les dossiers à régler sont nombreux et avancent parfois lentement. Parmi ceux-ci, le nécessaire investissement dans la distribution de notre cinéma d’auteur en région (à condition que les salles survivent!) ; le développement de nouvelles plateformes de diffusion ou encore l’encouragement et le soutien d’une cinéphilie québécoise me semblent être particulièrement importants. Si au moins 2012 pouvait donner naissance à des débuts d’action en ce sens, ce serait déjà très encourageant.

Il n’est pas interdit de rêver n’est-ce pas ?

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Notes :

  1. J’inclue dans le terme “québécois”: les films produits par une firme située au Québec, les coproductions canadiennes ou internationales majoritaires, les films produits par des institutions fédérales seulement mais tournées au Québec. Au moment d’écrire cet article, trois films que j’ai classé québécois ne le sont pas selon l’Observatoire de la Culture et des Communications du Québec (Décharge de Benoît Pilon, The Kate Logan Affair et Snow & Ashes sont canadiens).
  2. Drames : The Bend, Décharge, Jo pour Jonathan, Laurentie, Marécages, Nuit #1, Pour l’amour de Dieu, La run, Snow & Ashes, Le vendeur, La vérité. Comédies dramatiques : Coteau rouge, En terrains connus, La fille de Montréal, The Year Dolly Parton was my mom, Chroniques/comédies dramatiques/drames : Le bonheur des autres, Café de Flore, French Kiss, Frisson des collines, Funkytown, The High Cost of Living, Monsieur Lazhar, Starbuck, Sur le rythme, Une vie qui commence – Action/suspense : Angle mort, Bum Rush, Die, The Kate Logan Affair, Good neighbours – Comédies : Le colis, French Immersion, Le sens de l’humour – Drame biographique : Gerry.
  3. Sur les 36 films, 22 d’entre eux ont reçu une note à peine passable (3 et moins). Médiafilm, l’organisme de notation des films au Québec a pour sa part accordé une note  » bon  » ou  » très bon » à un peu plus de la moitié des films répertoriés.
  4. voir le tableau des recettes en salles pour plus de détails
  5. En 2011, dix films sont sortis dans cinq salles ou moins au Québec (contre 7 en 2010 et 8 en 2009)
  6. Tous les chiffres utilisés pour établir mes statistiques afin de rédiger cet article proviennent de l’Observatoire de la Culture et des Communications du Québec : http://www.stat.gouv.qc.ca/observatoire/
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