Si 2015 a renforcé les changements profonds constatés depuis quelques années dans les habitudes de consommation du cinéma, elle n’a cependant rien marqué de nouveau dans les méthodes traditionnelles de distribution des films. En dehors d’un documentaire sorti directement en VOD fin novembre, la soixantaine de sorties sur grand écran a été une fois de plus polarisée autour de trois événements de fort achalandage situés durant l’hiver et à l’automne.
Dans ce schéma qui a du mal à se renouveler, les RVCQ en février, le FNC en octobre et les RIDM en novembre ont donc renforcé le rôle d’aimants qu’ils jouent depuis maintenant plusieurs années, autour desquels se sont concentrés les deux tiers des films de fiction sortis l’année dernière. Profitant de l’effervescence festivalière et de la visibilité médiatique de ces grandes messes populaires, une large part de la production québécoise se lance ainsi dans la mêlée, avec comme objectif d’attirer l’attention des médias et des cinéphiles, mais avec aussi d’inévitables conséquences: l’embouteillage aux abords des salles, une durée de vie limitée et de nombreux laissés pour compte.
La cuvée 2015 aura été porteuse de belles percées venant d’œuvres dont le concept de départ, plus exigeant, ne laissait pas présager une aussi belle carrière. Les confirmations sont venues de Maxime Giroux avec Félix et Meira, Sophie Deraspe avec Le profil Amina et Les loups ou encore Philippe Falardeau dont le poétique Guibord s’en va-t-en guerre a réussi à bien tenir sur la durée durant un automne plus que chargé. Attendus au tournant, ces cinéastes ont su convaincre à la fois le public et la critique et constituent sans aucun doute le point le plus satisfaisant de 2015.
Avec environ 1,5 million de billets vendus, les parts de marché du cinéma québécois ont affiché une santé plutôt rassurante (la meilleure depuis 2011) dans un marché en nette progression par rapport à 2014. On doit cette performance appréciable à quatre ou cinq films qui auront réussi à trouver les faveurs du public. Les Aurélie Laflamme, La guerre des tuques 3D et autres Paul à Québec sont parvenus à raviver la flamme de personnages populaires, déjà bien ancrés dans le cœur et l’imaginaire québécois. Jouant sur un thème connu et dont il est décidément un très bon observateur, le mâle en pleine crise de Le mirage a confirmé le statut de cinéaste bankable que Ricardo Trogi avait gagné avec ses précédents films. La passion d’Augustine de Léa Pool a pour sa part remis la religion à l’ordre du jour, un sujet dont l’attrait fédérateur auprès du public québécois est toujours aussi vivant. Cumulées à celles de la comédie Ego Trip, les entrées en salles de ces cinq productions représentent plus de 80% du total de l’année.
Cela n’a pas été aussi facile pour plusieurs œuvres qui portaient en elles les espoirs de leur distributeur. C’est le cas de Mathieu Denis, dont le Corbo a été boudé, venant confirmer que le cinéma militant n’est pas le genre le plus apprécié des Québécois. Les films de Guy Édoin et de Charles-Olivier Michaud malgré des signatures visuelles fortes auront eu du mal à convaincre l’auditoire eux aussi, même en dépit d’une couverture médiatique importante exploitant la renommée de leur vedette européenne.
Pour le cinéma d’auteur, rien ne change. Il est toujours aussi peu montré, donc très peu vu. Dans un cycle de vie brutal qui ne tient plus que sur quelques séances publiques, plusieurs œuvres qui se démarquent pourtant dans plusieurs bilans de fin d’année n’ont pas franchi le cap de l’anonymat. C’est le cas de L’amour au temps de la guerre civile de Rodrigue Jean, Scratch de Sébastien Godron, Les démons de Philippe Lesage, et à un degré moindre Chorus de François Delisle et Les êtres chers d’Anne Émond, sont restés sur la touche.
Et que dire enfin de la perte, pour bien des raisons, dont beaucoup nous échappent, des trois salles de l’Excentris. Transatlantique de Félix Dufour-Laperrière, Nouvelles Nouvelles d’Olivier Godin et quelques autres y ont vu le jour. Qu’en sera-t-il à l’avenir? Même si des solutions palliatives existent (la plus évoquée étant la possibilité offerte par la Cinémathèque québécoise de projeter des films en primeur), il serait étonnant que les œuvres les plus exigeantes, et en particulier celles de nos documentaristes, qui évoluent déjà dans des conditions difficiles et avec des budgets de plus en plus restreints, n’en fassent pas les frais.
Avec ce coup d’épée de Damoclès reçu en plein milieu de l’automne – et d’autres alertes venues d’un peu partout au Québec –, l’évidence a sauté aux yeux de tous : l’écart entre la quantité de productions québécoises lancées sur le marché et la somme d’écrans capables de les diffuser est devenu plus que jamais préjudiciable à nos auteurs. Il faudrait que les choses bougent en 2016, au risque de voir tout un pan de notre production indépendante ou documentaire disparaître corps et âme dans les limbes d’une diffusion VOD encore trop peu organique pour être réellement considérée comme une bouée de sauvetage.
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Cet article est un extrait du texte qui sera publié dans le numéro 301 de la revue Séquences