[Critique] Rhymes For Young Ghouls

Pour un premier long, Jeff Barnaby étonne en parvenant avec cette violente mais lumineuse histoire d’héroïsme à éviter les pièges de la morale ou du misérabilisme. Dans la réserve Red Crow, le chaos permanent n’est pas chose inéluctable.

Jeff Barnaby est un réalisateur originaire de la réserve Micmac de Listuguj, située dans la Baie des chaleurs, qui a étudié le cinéma à Concordia. Auteur de trois courts métrages, dont le remarqué File Under Miscellaneous (2010), Barnaby réalise avec Rhymes For Young Ghouls son premier long métrage (le film est renommé Rimes pour revenants en version sous-titrée).

Mark-Anthony Krupa dans Rhymes For Young Ghouls

Mark-Anthony Krupa dans Rhymes For Young Ghouls

Pour une première, il nous offre indéniablement l’une des plus intéressantes propositions issues du tout jeune cinéma québécois des Premières nations. Une très belle réussite, autant visuelle que scénaristique, qui n’hésite pas à montrer sans fard et sans compromis les travers de la vie sur les réserves, au plein cœur des années 70. Ce n’est finalement pas si étonnant qu’il ait été récompensé du Creative Promise Award for Narrative au festival TriBeCa et qu’il ait reçu des critiques positives de partout au Canada, tant le film est porteur d’espoir pour la continuation de la carrière de son auteur.

Sorte de western moderne doublé d’une fable sur la résistance, baigné de sueur et de crasse au son du blues rural de RL Burnside, Rhymes For Young Ghouls développe une intrigue forte et inédite dans laquelle la volonté de la jeunesse de ne pas suivre les (mauvais) pas des adultes occupe une place centrale. Ici, pas d’opposition entre méchants blancs et gentils indiens. Pas de lutte entre les bons et les méchants. Quelque soit son camp ; tout le monde est laid et a quelque chose sur la conscience. Ce qui accroche ce sont nulles autres que les lois injustes que les forces de l’ordre locales, menées par un Mark Anthony Krupa horrible dans son rôle de redresseur de torts et des acolytes tous aussi patibulaires les uns que les autres, tentent par tous les moyens de faire respecter.

KAWENNAHERE DEVERY JACOBS dans Rhymes For Young Ghouls (©Prospector Films)

KAWENNAHERE DEVERY JACOBS dans Rhymes For Young Ghouls (©Prospector Films)

Face à lui, Aila, une jeune indienne, campée par la jeune révélation Kawennáhere Devery Jacobs, qui parvient à subvenir aux besoins de ses proches grâce au trafic de drogue. Elle se mettra en travers du chemin du flic irascible afin d’éviter l’enfermement dans une institution scolaire. Car Barnaby nous prévient sans ambages, l’institution gouvernementale n’est rien d’autre qu’un lieu de perversion et d’abus. Pour Aila, quitter la réserve pour entrer à l’école correspond à troquer une prison pour une autre. Pris entre tous les feux, alcooliques ou drogués alors qu’encore ados, les enfants vivent dans la fuite constante afin d’échapper à une mesure datant des années 20 qui veut que tout enfant aille dans un pensionnat indien jusqu’à l’âge de 15 ans, quitte à devoir quitter sa famille.

Mais malgré ses thèmes sombres, ses personnages marqués et son intrigue violente, ce qui se dégage du film laisse avant tout une impression de force et de courage. Loin de se laisser aller au misérabilisme ou au sensationnalisme, Barnaby fait de sa réserve fictive le théâtre de la révolte, une rébellion dirigée contre l’oppression et le diktat des injustes.

Malgré la force de son propos et la qualité de sa photographie aux tons ocre brun, en dépit aussi de son montage serré et de ses ellipses poétiques, le film n’est pas sans défauts. Quelques effets dramatiques un peu trop appuyés et une musique très présente sont à soulever. Face à l’originalité de la démarche, ces défauts mineurs paraissent finalement assez minimes.

Dans un cinéma québécois autochtone encore en pleine émergence, Rhymes For Young Ghouls se pose donc en pierre angulaire et constitue une première œuvre coup de poing de laquelle on ressort secoué. Une réussite remarquée qui permet à Jeff Barnaby d’espérer une belle continuation de sa carrière dans les années à venir.

Rhymes For Young Ghouls (Rimes pour revenants) – drame – Québec, 2013, 1h28 – Dans une réserve au milieu des années 70, une jeune indienne affronte un agent irrascible et ses acolytes de la police locale – Avec: Kawennáhere Devery Jacobs, Glen Gould, Brendon Oakes, Mark Antony Krupa – Scénario et réalisation: Jeff Barnaby – Production: John Christou, Aisling Chin-Yee – Distribution: Films Séville

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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