[Critique] Simple comme Sylvain : entre cœur et raison

Bien qu’il ne soit pas entièrement convaincant, ce troisième long métrage de la réalisatrice de La femme de mon frère marque une nette progression au plan de la mise en scène.

En 2019, avec La femme de mon frère, Monia Chokri signait un premier long métrage tonitruant, exhibant fièrement une déco rose-bonbon et des dialogues affutés, tout droit sortis de l’univers dolanien. Puis vint Babysitter, dans lequel on décelait un soupçon d’émancipation enfoui sous un amas d’excentricités pompeuses, agencées dans un récit ubuesque, et, selon nous, raté. Avec Simple comme Sylvain, comédie plus consensuelle, mieux ancrée dans la réalité et pas si candide qu’il y paraît, Monia Chokri resserre un peu les boulons.

Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans Simple comme Sylvain de Monia Chokri (photo Fred Gervais)
Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal dans Simple comme Sylvain de Monia Chokri (photo Fred Gervais)

Les triangles amoureux, les passions enfouies et les couples en crise ne cessent d’alimenter les scénaristes du monde entier. La cinéaste tente de redonner quelque saveur à ces schémas à priori éculés dans une romance plutôt sympa, fabriquée autant pour un public local que pour celui de la France, où le mélange de répliques intellos et d’éléments pittoresques (Spinoza et Platon côtoyant allègrement Michel Sardou, le chalet en bois rond, les couleurs d’automne et les chemises carottées) trouveront peut-être un certain écho.

Simple comme Sylvain est un film bicéphale. D’abord, une première heure délicieuse, jouant à fond la carte du charme désuet, et mettant en avant l’opposition entre le feu ardent et l’appétence refoulée, la routine monotone et le fantasme libérateur. La représentation de la résurrection du désir charnel chez une quarantenaire qui – volontairement ou non – semblait l’avoir placardé pour de bon, s’avère elle aussi pertinente et très actuelle. Tout comme la critique mordante des milieux érudits de tout acabit, refermés sur eux-mêmes, jaugeant avec condescendance les enjeux sociaux et environnementaux du moment.

La direction photo d’André Turpin enjolive de mille scintillements l’atmosphère irréelle d’un pays des merveilles, tapi au fond d’une forêt dense propice à faire jaillir les soubresauts émotionnels de la prof de philo coincée, soudainement déstabilisée par le charisme bestial du bûcheron mal dégrossi. De cette rencontre éminemment improbable naît une passion à la sensualité débridée, comme on en montre très rarement dans le cinéma québécois.

Hélas, après que le couple soit officialisé, le scénario perd beaucoup, pour ne pas dire tout, de son intérêt. Les excès de maniérisme reprennent du service dans un kanapoutz de repas agités, de groupes gesticulant dans des intérieurs exigus, et de protagonistes qui se coupent sans cesse la parole. Tout ce que l’on détestait de Babysitter revient à la charge, y compris le montage à la hache, les dialogues qui sonnent faussement vrais et les ultra gros-plans ridicules. Sans parler du regard un brin hautain porté sur certaines couches de la société (les différences de classe des amoureux manquant de la subtilité nécessaire), d’une scène de ménage peu crédible et d’un dénouement mal amené, comme s’il avait été ajouté à la dernière minute.

Tout ça laissera un petit goût d’inachevé à Simple comme Sylvain, techniquement moins hirsute, plus abouti que les deux premiers longs de Monia Chokri, mais qui, au final, ne convainc que dans sa première heure, plus délicate, plus libre et certainement moins stéréotypée.

Simple comme Sylvain – Québec-France, 2023, 1h52 – une professeure de philo dans la quarantaine mariée deuis dix ans à un ethnologue tombe éperdument amoureuse d’un entrepreneur en rénovations, bien loin d’avoir son niveau intellectuel – Avec: Magalie Lépine Blondeau, Pierre-Yves Cardinal, Francis-William Rhéaume, Monia Chokri, Steve Laplante – Réalisation et scénario: Monia Chokri – Production: Nancy Grant, Sylvain Corbeil, Nathanaël Karmitz, Elisha Karmitz – Distribution: Immina Films

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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