[Critique] La déesse des mouches à feu: après moi le déluge

Anaïs Barbeau-Lavalette signe une œuvre choc, sans doute sa plus aboutie en carrière, et nous fait découvrir Kelly Depeault, une jeune actrice qui a du chien.

La déesse des mouches à feu (Kelly Depeault et Hélène Loiselle face à face
La déesse des mouches à feu (Kelly Depeault (d.) et Hélène Loiselle (g.))

Pour La déesse des mouches à feu, son troisième long métrage de fiction, Anaïs Barbeau-Lavalette se tourne à nouveau vers l’adolescence avec cette puissante adaptation du roman de Geneviève Pettersen. Comme dans Le Ring, et Inch’Allah, la cinéaste sort avec les honneurs d’un projet casse-gueule en livrant une œuvre à la fois dure et belle qui évite le cliché ou le pathos grâce à l’impressionnant savoir-faire en matière d’authenticité développé au fil des ans, tant en documentaire qu’en drame.

Accoutumée à observer de jeunes sujets, Anaïs Barbeau-Lavalette sait ce qui sonne juste et ce qui sonne faux, parvenant ainsi à créer un contact direct avec son auditoire même s’il n’a pas vécu sa jeunesse dans les années 1990. À ce chapitre, notons que l’ancrage temporel du récit a été réduit au maximum pour essayer d’atténuer les distances culturelles afin d’obtenir un semblant d’universalité. Ceux qui ne connaissent pas Mia Wallace et qui n’ont pas goûté à la culture grunge ne se sentiront pas trop largués.

Reste que le filmage frontal des scènes de sexe et de consommation de drogue ne laissera pas indifférent un public habitué à un cinéma québécois de plus en plus inodore et policé. Pour ma part, je trouve que les excès de la fuite en avant de Catherine possèdent une charge émotive telle qu’elle suffit à elle seule à faire accepter les dérives. En outre, l’audace de la cinéaste répond parfaitement à celle de l’oeuvre originale, qui avait d’ailleurs des passages autrement plus crus.

Ce que je retiens surtout du scénario de Catherine Léger c’est l’ouverture sur la féerie en faisant appel aux métaphores de l’eau et du feu, aux clairs-obscurs des petits matins joliment mis en image par Jonathan Decoste, ou renforçant tout simplement l’imaginaire coloré de la protagoniste par des dialogues directs, parfois méchants comme peuvent l’être ceux des ados, mais souvent très drôles sans jamais être risibles. Notons au passage la justesse de ton employée pour illustrer la dynamique de groupe, les rivalités, les amours, et la solidarité presque fusionnelle que les jeunes arrivent à créer spontanément. 

Avec son illustration de parents qui se déchirent âprement sous les yeux de leur enfant, La déesse des mouches à feu jouait gros. Les pièges du misérabilisme sont évités in extremis, même si avec cette mère futile et ce père alcoolique, la critique de la famille « normale Â» n’apparaît pas toujours subtile. Face à cette ambiance irrespirable du quatre et demi familial, répond la liberté du « campe Â» perdu dans son insondable forêt. Ce qui est toutefois illusoire puisque les deux zones dans lesquelles évolue Catherine ne sont autres que des prisons, sans barreaux certes, mais des prisons tout de même.

Enfin, on ne peut que se réjouir que le film parvienne, tout en en reprenant l’essentiel, à donner force et magnétisme au sempiternel récit d’adolescence québécois, trop souvent accaparé par une contemplation mystique des troubles et de la beauté de cet âge chargé d’émoi. La structure narrative permet aux différentes étapes du parcours initiatique de se dévoiler au fil d’une descente aux enfers riche en temps fort, jusqu’à une superbe scène finale sous la pluie battante servant d’apaisement, une conclusion libre et ouverte, laissant place à l’empathie du spectateur autant qu’à son interprétation.

En somme, avec La déesse des mouches à feu Anaïs Barbeau-Lavalette ose le punk et signe une Å“uvre-choc, sans doute sa plus aboutie en carrière. Ce film qui fera date a entre autres mérites, celui de nous faire découvrir au sein d’une distribution dirigée de main de maître, la jeune Kelly Depeault, une actrice qui a du chien et que l’on a bien hâte de revoir.

La déesse des mouches à feu – Québec, 2019, 1h47 – À Chicoutimi-Nord au milieu des années 1990, tandis que ses parents se séparent, une adolescente de seize ans plonge dans les plaisirs défendus de la drogue en compagnie de ses amis qui ont élu refuge dans un « campe » perdu en pleine forêt – Avec: Kelly Depeault, Caroline Néron, Normand D’Amour – Scénario: Catherine Léger – Réalisation: Anaïs Barbeau-Lavalette – Production: Coop Vidéo de Montréal – Distribution: Entract

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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