[Critique] Le problème d’infiltration : Louis a pas de classe

Avec Le problème d’infiltration, Morin nous fait entrer dans une descente aux enfers anxiogène marquée par ses aspects techniques maîtrisés et l’interprétation sans faille de Christian Bégin. Mais le tout est aussi noyé dans une forte dose d’effets de style redondants qui finissent par enlever de la force au message.

Christian Bégin dans Le problème d'infiltration de Robert Morin (Source: K-Films)

Christian Bégin dans Le problème d’infiltration de Robert Morin (Source: K-Films)

Par défaut, on aime Robert Morin. On aime ses prises de risque et sa volonté de ne jamais faire la même chose, même si elles ne donnent pas toujours des résultats probants (cf. Un paradis pour tous). On salue son besoin de nourrir son imaginaire avec les codes de différents genres cinématographiques qui nous emporte loin des sentiers habituels du cinéma québécois. On se souvient de sa transposition des Dix petits nègres d’Agatha Christie dans La réception, des relents d’Apocalypse Now dans Windigo, ou encore de son pastiche de polar américain Que dieu bénisse l’Amérique. Il en est de même avec ce Problème d’infiltration, qui regorge d’inspirations cinéphiles éclatées. On a cité Birdman (les faux plans-séquences), Shining (l’enfermement de l’homme ordinaire dans une grande baraque épeurante), les jeux d’ombres et de lumières des impressionnistes allemands… sans oublier la douche d’Hitchcock, qui a droit elle aussi à un léger clin d’œil.

Mais par-dessus tout, même avec toutes ces références en tête, on aime que ses récits soient toujours marqués d’une vision politiquement incorrecte de notre société, histoire de nous bousculer un peu plus. Cette fois, Morin nous concocte un « thriller » psychologique nourri de tension et de démence dans lequel Louis, chirurgien bien installé vit une véritable descente aux enfers après qu’un patient mécontent l’a traîné dans la boue publiquement, et au passage, un rappel au Joe de La déroute (Paul Tana), père ultra contrôlant vivant également dans une maison bourgeoise de banlieue.

Le premier quart d’heure a fort belle allure. Dans une salle immaculée, Louis développe les bandages de son cobaye, un grand brûlé à qui il a tenté de redonner un visage « acceptable ». La bête se dévoile de manière toute ce qu’il y a de plus frontale. Morin propose une métaphore sur la reconstruction de soi et sur l’espoir de revoir un jour une innocence que l’on souhaiterait ne jamais avoir perdue, mais dont la concrétisation s’avère tout bonnement irréalisable. L’idéal de pureté vire au cauchemar. L’altération progressive de l’éclairage, passant du blanc angélique au noir tombal, marque le ton, de même que ce « On ne s’habitue pas à la laideur », avertissement prémonitoire servi par ce patient initiateur des troubles à venir. S’il ne l’avait pas déjà compris, le spectateur est officiellement prévenu. C’est dans l’antre du monstre qui sommeille en nous que va se dérouler le reste de l’histoire, après que cette défiguration physique se soit transférée sur le chirurgien. Porté par la prestation sans faille de Christian Bégin, Louis vit alors une cascade de problèmes faisant ressortir la nature hideuse de son rôle de père (qui n’a plus de contrôle sur son fils) et de mari (qui sent que sa femme lui échappe). S’en suit – et sans transition – le portrait d’un salaud ordinaire suscitant d’emblée le dégoût et donc le rejet, à l’image du personnage du missionnaire dans Le journal d’un coopérant. Nombreux changements de lumières, vapeur ou poussières se transformant en voile opaque, bruits amplifiés… Morin nous offre une belle palette d’artifices propres au récit anxiogène ne proposant aucun répit, aucune porte de sortie.

Au delà de l’appréciation de la maîtrise formelle, bien réelle, une désagréable impression d’enfermement dans un exercice de style trop fabriqué se fait de plus en plus présente au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans l’inexorable. Les (faux) plans-séquences nous incluent à la folie du protagoniste – le reste de la distribution semble ici presque accessoire – ils ont aussi tendance à hacher l’histoire en saynètes indépendantes, reliées par des raccords obligatoires, longs, dénués de véritable signification. Comme à son habitude, Morin a des choses importantes à faire passer, sur la face cachée de ce que nous sommes, sur notre vie de surface. Mais son discours est dépendant d’un formalisme trop expressif. L’épisode des bouteilles de vin bouchonné ne dit-il pas à nouveau ce que nous avions déjà vu auparavant dans la scène de sexe bestial, et l’illustration d’un homme faisant du surplace (lorsque Louis se rend chez le voisin) est-elle riche de sens ? L’image est frappante, mais est-elle nécessaire à ce moment-là du film? Les trucages se répètent plusieurs fois (caméra tournant autour des personnages, éclairages changeants, effets sonores amplifiés à l’extrême, etc.). Tout parait redondant. Le dispositif devient très vite trop voyant, clinquant, surfait, donnant l’impression que Morin est resté prisonnier d’un art qu’il n’aurait pas pu exprimer sans lui donner tous ces tics stylistiques. Et dont l’accumulation finit par enlever de la signification, un peu comme ces voiles brouillant la vision jusqu’à l’obstruer complètement.

Le problème d’infiltration – Québec, 2017, 1h32 – Louis, chirurgien bien installé vit une véritable descente aux enfers après qu’un patient mécontent l’a traîné dans la boue publiquement – Avec: Christian Bégin, Sandra Dumaresq – Scénario et Réalisation: Robert Morin – Production: Luc Vandal – Distribution: K-Films Amérique

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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