[Critique] Tom à la ferme : l’autre Dolan

Plus sombre, plus resserré sur son intrigue et moins exubérant que les précédents films de Dolan, Tom à la ferme est un thriller psychologique intense et malsain. Serait-ce un film charnière dans sa carrière ?

Tom à la ferme de Xavier Dolan est l'un des films attendus en ce début d'année 2014

Tom à la ferme de Xavier Dolan (img: Films Seville)

Juste avant que cet imbroglio de vaches mortes et de sentiments parfaitement biaisés ne débute, Tom à la blonde tignasse, avait apporté avec lui aux funérailles de son amant, une certitude : celle de le remplacer. Alors qu’il rencontre Francis, beauf homophobe et violent, et Agathe, la mère mortifiée, il ne sait pas encore qu’il tombe dans une souricière dont il ne sortira rien de bon. Ses certitudes tombent, une étrange attirance naît.

Si Tom à la ferme n’est pas un tournant de carrière de Xavier Dolan (on ne le saura qu’après avoir vu Mommy), c’est en tout cas une proposition radicalement différente de ses trois premiers films. Délaissant le dandysme des dialogues de Les amours imaginaires, niant l’esthétique de Laurence Anyways en faisant même ressortir l’ordinaire de sa composition (les costumes, la grisaille), Dolan a également simplifié ses effets de mise en scène. S’amusant à jouer avec les codes du thriller psychologique en insérant ça et là des références aux suspenses d’Hitchcock et en filmant les ambiances glauques comme il ne l’avait jamais grâce au travail d’André Turpin à la direction photo, Dolan nous donne en pâture (c’est le cas de le dire) un drame plus profond que la surface visible des choses. Il explore les relations troubles entre un garçon de ferme aux mains couvertes de sang et un jeune citadin, publicitaire timoré, en tendant sur leur relation un patchwork opaque composé de faux-semblants, de mensonges et de domination érotico-malsaine.

Dans Tom à la ferme, film à double fond, le mensonge et la mort forgent l’intrigue à coups de tensions et de malaises. Tom ment à Agathe pour protéger la pureté de Guillaume, Francis ment à Tom sur sa personnalité et ses intentions tandis qu’Agathe se ment à elle-même dans le casse-tête qu’elle cherche à reformer afin de garder de son fils une image intacte.

Allant de pair avec le mensonge, la mort occupe aussi une place de choix. Il y a celle que l’on refuse lorsqu’elle touche son amant ou son fils ou celle que l’on voudrait donner lorsqu’elle permet d’enfouir une vérité inavouable. Qu’il frappe les humains ou les animaux, le deuil a ceci de troublant qu’il n’est jamais expliqué. Les bêtes meurent sans raison, alors que le décès de Guillaume reste une énigme, donnant à Lise Roy l’occasion d’une scène remarquable filmée en très gros plan alors qu’elle s’insurge contre la disparition de son fils.

Car, bien que très centré sur Dolan lui-même, le film ne serait sans doute pas aussi accompli sans l’apport de comédiens de premier ordre. Lise Roy, aguerrie du théâtre et de la télé, retrouve son rôle de la pièce originale de Michel-Marc Bouchard. Abrutie par la mort de son cadet, elle tente de garder le contrôle d’une situation qu’elle sait lui échapper. Mais c’est Pierre-Yves Cardinal que l’on avait vu dans un rôle de soutien dans Dédé à travers les brumes se révèle littéralement en grand frère à la bestialité attirante qui offrira à Tom un vain espoir. Il y a aussi Evelyne Brochu, la copine Sarah, qui doit mentir à Agathe et qui tentera tant bien que mal de ramener Tom vers une réalité qui l’a déjà abandonné. Son arrivée au milieu du film permet de transporter l’intrigue vers l’explosion de la situation – et la fin de l’ambiguïté – ouvrant à Tom une porte de sortie hors de ce piège infernal.

Toutefois, le film n’est pas sans défauts, notamment dans sa façon de montre la progressive main mise de Francis sur Tom, mais aussi dans sa référence inaboutie au syndrome de Stockholm. Tom à la ferme propose cependant une intrigue suffisamment troublante pour que l’on retienne son souffle. Déception amoureuse et domination fiévreuse imprègnent la symbolique de cette composition prenante qui bénéficie en outre d’éléments techniques hautement maîtrisés.

Tom à la ferme – drame psychologique – Québec, 2013, 1h42 – Tom, un jeune citadin qui rend aux funérailles de son amant décédé. Là, il devra faire face au mensonge et au mépris du frère aîné du défunt. – Avec: Xavier Dolan, Pierre-Yves Cardinal, Lise Roy et Évelyne Brochu – Scénario et réalisation: Xavier Dolan – Production: Xavier Dolan, Nathanaël Karmitz, Charles Gilibert – Distribution: Films Séville

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★★ Moyen
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