[Critique] L’amour au temps de la guerre civile

Filmé dans l’immédiateté durant un hiver triste et froid d’un quartier pauvre de Montréal, L’amour au temps de la guerre civile s’offre en porte-parole aux laissés pour compte de notre société. Évoluant à la frontière de la fiction et du réel, cette Å“uvre brutale ne transforme pas pour autant ses protagonistes en martyrs et possède des moments d’une touchante sincérité.

Alexandre Landry de dos dans L'amour au temps de la guerre civile

Alexandre Landry de dos dans L’amour au temps de la guerre civile (source : page Facebook du film)

Il y a sept ans déjà, le documentaire Hommes à louer, marquait les esprits en exposant la dure réalité des hommes prostitués du quartier Centre-Sud de Montréal. Faisant preuve d’une authenticité rare, L’amour au temps de la guerre civile est une suite logique à ces hommes à louer mais aussi à l’imposant travail auquel son auteur et ses nombreux collaborateurs se sont attachés depuis plusieurs années afin de donner une voix et une existence à ces laissés pour compte.

De ces Hommes à louer, et de toutes celles du projet épopée.me, dont L’état du moment (2011) et L’État du monde (2012) , on retrouve ici plusieurs composantes. Mais ce dernier volet d’un projet collectif percutant et fortement dérangeant n’est pas un documentaire, mais bien une fiction avec une intrigue fictive écrite par Ron Ladd (deux jeunes toxicos se prostituent pour trouver l’argent de leur dépendance et de leur survie commune) et des comédiens, Alexandre Landry (Gabrielle) et Jean-Simon Leduc (que l’on verra en avril dans Corbo de Mathieu Denis) entre autres.

Mais si cet imaginaire est bien présent, il ne revêt pas pour autant les atours d’une pure fiction. Absence de musique, traitement minimal de l’image, dialogues peu préparés car fournis au jour le jour aux comédiens, tout cela concoure à donner au film la force viscérale nécessaire pour traiter d’un sujet si fort. Nous voilà bien dans une brutalité des mots et des images, directe et sans fard, à plusieurs lieues du cinéma d’auteur québécois traditionnel. En ne peaufinant pas son « emballage », Rodrigue Jean ne cherche donc pas à rendre son film attirant. De même qu’il ne transforme pas ses protagonistes en êtres refoulés ou en victimes impuissantes d’un système dévorant. Au contraire, il s’attarde à montrer des personnes adultes menant un combat de tous les instants pour tenter de vivre dans une sorte leur propre normalité, aussi relative soit-elle. Se nourrir, se loger décemment et essayer de vivre une relation de couple basée sur la confiance mutuelle, comme le titre du film nous l’indique d’ailleurs. Des préoccupations somme toute communes à tout un chacun, et dans lesquelles nous nous retrouvons. L’amour au temps de la guerre civile  nous rapproche de ces travailleurs du sexe en nous les montrant, non comme des êtres dévoyés, mais comme des personnes devant contrer des dépendances, au même titre que nous sommes dépendants de l’internet, des séries télé ou de nos cellulaires.

Au final, malgré la difficulté d’approche de sa thématique, Rodrigue Jean, faisant abstraction du pathos de ses personnages, sait faire preuve de sensibilité, voire même d’une certaine retenue. Il les connaît trop bien pour verser dans le sensationnalisme. Ce serait leur manquer de respect.

Comme dans tout le cinéma de Rodrigue Jean, en dehors peut-être de Lost Song, plus traditionnel, L’amour au temps de la guerre civile n’est pas fait pour être aimé. Le film fait mal, en plus de bousculer les préjugés en faisant écho à une réalité que l’on voudrait bien laisser de côté. Déchirant et déstabilisant, voilà un film à ne pas manquer, signe tangible d’une Å“uvre peu médiatisée, signée par un cinéaste-citoyen passé maître dans l’art de forcer de la plus juste des manières une confrontation directe avec nos propres démons.

L’amour au temps de la guerre civile – chronique – Québec, 2014, 2h – Dans le quartier Centre-Sud de Montréal, nous suivons le parcours d’Alex, jeune toxico en quête d’amour et d’absolu. Autour de lui gravitent Bruno, son amant régulier, Simon, Jeanne, Éric et Velma, tous pris dans une même spirale de compulsion – Avec: Alexandre Landry, Jean-Simon Leduc, Simon Lefebvre – Scénario: Ron Ladd – Réalisation: Rodrigue Jean – Production: Cédric Bourdeau, Rodrigue Jean – Distribution: Les Films du 3 mars

Ma note: 

Les notes :

★★★★★ Excellent
★★★★ Très bon
★★★ Bon
★★ Moyen
Mauvais

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